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Droit humanitaire

par Alain Gresh, 24 juillet 2006

Toute guerre provoque son lot de souffrances dans les populations civiles. Depuis quelques décennies, ce sont même les principales victimes des conflits, avant les militaires. La propagande des deux camps tend toujours à faire croire que c’est l’autre qui viole le droit humanitaire, qui est un "terroriste". Le conflit libanais n’échappe pas à cette règle.

Pourtant, depuis l’adoption des conventions de Genève relatives à la protection des populations, le 12 août 1949, et de deux protocoles additionnels en juin 1977, la communauté internationale a accepté des contraintes qui s’appliquent à tous les protagonistes d’un conflit, étatiques ou non étatiques, quelle que soit la légitimité de leur cause.

Ainsi, l’article 48 du premier protocole additionnel explicite une règle fondamentale : « En vue d’assurer le respect de la population civile et des biens à caractère civil, les parties du conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu’entre les biens à caractère civil et les objectifs militaires. »

L’article 54 du même protocole précise : « Il est interdit d’utiliser contre les civils la famine comme méthode de guerre (…). Il est interdit d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage des biens indispensables à la survie de la population civile. »

Comment analyser les actions menées actuellement dans le conflit libanais ? Il est évident, de ce point de vue, que le bombardement de localités du nord d’Israël par le Hezbollah est illégal. Sont illégaux aussi les bombardements indiscriminés israéliens qui ont détruit centrales électriques, routes, immeubles, convois, etc. Et dont l’ampleur est sans commune mesure avec ce que fait le Hezbollah : ce sont des bombes d’une tonne qui tombent sur le Liban et font s’effondrer des immeubles entiers... Le secrétaire général adjoint de l’ONU a réitéré aujourd’hui sa condamnation du bombardement des populations civiles, qui viole le droit international.

Lors d’un entretien donné au quotidien Libération, Régis Garrigues, responsable de la mission de Médecins du monde en Palestine, notait l’utilisation de nouvelles armes particulièrement violentes à Gaza, « des armes qui ne devraient pas être employées contre des populations civiles » . Il remarquait que sur 180 vicitmes civiles reeensées dans un hôpital, 35 avaient dû subir des amputations. Il semble bien que les armes utilisées aussi au Liban aient pour but de faire le maximum de dégâts. C’est ce que vient de confirmer l’organisation américaine Human Rights Watch, dans un rapport publié aujourd’hui à Beyrouth (avec photos à l’appui).

La convention de Genève exclut aussi l’utilisation « disproportionnée » de la force.

Ce terme semble inconnu à Bernard-Henri Lévy, qui, dans sa chronique du 20 juillet dans Le Point, complaisamment mise en ligne par l’ambassade d’Israël à Paris, explique qu’il ne comprend pas le sens du mot disproportion, n’étant pas « grand expert en affaires militaires ». Et il justifie le bombardement des routes, de ses infrastructures, de l’aéroport, toutes infrastructures qui servent au transport des armes du Hezbollah.

Bernard-Henri Lévy n’est évidemment pas un expert en affaires militaires, il ne l’est pas non plus en droit humanitaire. Le texte du Protocole additionnel stipule que des attaques « sont interdites si on peut s’attendre à ce qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles ou des dommages aux biens de caractère civil qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ». Qui peut penser un instant que l’objectif israélien affirmé – sauver deux soldats – vaille ces multiples destructions ? En quoi la destruction des centrales électriques aide-t-elle à détruire le Hezbollah ? Pourquoi Israël bombarde-t-il des villes chrétiennes et sunnites ? Pourquoi attaque-t-il des convois civils, et parfois des ambulances ?

Une des remarques les plus étonnantes faites par une universitaire israélienne, Fania Oz-Salzberger, dans The Wall Street Journal du 18 juillet, dans une opinion intitulée « A Just War » (« Une guerre juste »), en défense de l’action israélienne, concerne les populations civiles. Bien sûr, dit-elle, les enfants libanais et palestiniens ne sont pas responsables. « But the adults ? Are these men and women hostages of live-in terrorists, dumb natives managed by shrewd colonialistes, or are they perhaps accountable civil agents who made a very bad choice in one of their first democratic performances ? » J’ai voulu donner la version anglaise pour ne pas être accusé de déformer ses propos. Mais, si je lis bien, les civils palestiniens et libanais sont responsables de leur vote pour le Hamas et pour le Hezbollah, donc ils sont un peu coupables.

Jusqu’à présent, seuls les groupes extrémistes islamistes les plus violents, dont Al-Qaida, avaient justifié l’action contre des civils américains ou occidentaux au nom du fait qu’ils avaient voté pour leur gouvernement.

On pourrait, en guise de conclusion provisoire, reprendre cette injonction des dirigeants athéniens à leurs homologues de l’île de Mélos, qu’ils voulaient asservir : « Dans le monde des hommes, les arguments de droit n’ont de poids que dans la mesure où les adversaires en présence disposent de moyens équivalents et que, si tel n’est pas le cas, les plus forts tirent tout le parti possible de leur puissance, tandis que les plus faibles n’ont qu’à s’incliner. »

Un dernier mot en hommage à notre confrère The Independent, qui avait hier une belle couverture.

Alain Gresh

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