Une intense agitation diplomatique anime le Proche-Orient alors que le sommet arabe devrait se tenir les 28 et 29 mars à Riyad. Prélude à un tournant diplomatique de Washington ? ou simple détente provisoire, en attendant une attaque contre l’Iran ?
Les négociations autour de la crise libanaise se poursuivent avec le voyage de Javier Solana au Liban, en Arabie saoudite et en Syrie. En Arabie, le représentant de l’Union européenne a déclaré qu’il soutenait les efforts de Riyad (qui s’apprêterait, selon diverses sources citées par la presse libanaise,notamment The Daily Star du 14 mars, à réunir les dirigeants de l’opposition et de la majorité à Riyad). En ce qui concerne le premier voyage en Syrie d’un officiel de l’Union européenne, Le Monde du 14 janvier titre « Solana veut maintenir la pression sur Damas » Dans le même temps, les autorités libanaises annoncent l’arrestation et les aveux de sept membres de l’organisation islamiste Fatah al-islam, impliqués dans les attentats du 13 février contre des autobus. Bien que l’organisation ait démenti ces accusations, elles alimentent l’idée d’un développement de groupes radicaux liés à Al-Qaida au Liban. « « La nébuleuse Al-Qaeda met un pied au Liban » », titre Libération (14 mars), sous la plume de son envoyée spéciale Isabelle Dellerbale. Le célèbre journaliste américain Seymour Hersh avait accusé il y a quelques semaines le gouvernement libanais et les autorités américaines de s’appuyer sur de tels groupes. Il revient sur le sujet dans un entretien accordé au site Antiwar.com et à Charles Goyette, « Why Is the US Backing Sunni Jihadists ? »
Mais le dossier libano-syrien est loin d’être le seul sur la table de négociations. La réunion de Bagdad du 10 mars des pays voisins de l’Irak et de différentes autres puissances, dont les Etats-Unis, a vu se côtoyer pour la première fois depuis longtemps officiels iraniens et américains. Peu a filtré, mais les comptes rendus indiquent plutôt une atmosphère positive. On annonce une réunion du même type, mais au niveau des ministres des affaires étrangères, au mois d’avril. Dans le même temps, et selon un responsable de l’armée irakienne cité par une dépêche de l’AFP du 14 mars, il y aurait eu une baisse de 80% des morts dans la capitale depuis un mois, date de la mise en place du nouveau plan de sécurité.
Enfin, le sommet arabe devrait relancer l’initiative de paix arabe du printemps 2002 – établissement d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, en échange d’une normalisation des relations entre tous les Etats arabes et Israël. Le premier ministre israélien Ehoud Olmert, au plus bas dans les sondages, a brusquement trouvé des aspects positifs dans ce plan qui avait été jusqu’à présent rejeté par le gouvernement israélien. The Jerusalem Post, du 13 mars cite des sources diplomatiques israéliennes affirmant qu’Israël et les Etats-Unis espèrent que le sommet arabe acceptera de modifier le plan de 2002 – notamment en renonçant à toute mention de la résolution 191 de l’Assemblée générale des Nations unies sur les réfugiés palestiniens. La ministre des affaires étrangères israélienne Tzipi Livni devrait discuter de cela à Washington le 14 avec Condoleezza Rice ; cette dernière devrait aussi se rendre dans la région la semaine prochaine. Mais la volonté israélienne d’altérer le plan – notamment le refus de revenir aux frontières de 1967 et d’une "solution juste" au problème des réfugiés – fait peser quelques doutes sur ce revirement israélien. Lors d’une conférence de presse, le 13 mars, Saoud Al-Fayçal, ministre des affaires étrangères saoudien,a déclaré : « Nous entendons toujours Israël poser des conditions à tout, sans rien accepter. Vous ne pouvez pas mener des négociations comme ça, vous acceptez les propositions et ensuite vous en parlez. (...) Cela semble une façon absurde de négocier. »
D’autre part, le vice-premier ministre Shimon Peres, ainsi que des responsables palestiniens (dont Saeb Erekat, chargé des négociations avec Israël) et jordaniens participent à Tokyo à une conférence, ce qui confirme que des négociations ont bien lieu entre Palestiniens et Israéliens. La formation du gouvernement d’union nationale palestinien, dont la composition devrait être rendue publique le 15 mars, confirme le succès des accords de La Mecque. Elle confirme aussi les évolutions du Hamas qu’avait décelées Pascal Delmotte dans un article du Monde diplomatique de janvier 2007, « Le Hamas et la reconnaissance d’Israël ». Dans un entretien donné au quotidien pan-arabe Al-Shark al-Awsat (Londres, 14 mars), Ahmad Youssouf, conseiller du premier ministre Ismaïl Haniyyeh, déclare : « Le Hamas pourrait connaître des changements idéologiques dans la prochaine période. Une lecture de la scène politique pourrait amener à changer certaines idées du mouvement, particulièrement si la politique nous permet de réaliser ce que nous cherchons à obtenir par la lutte armée. Si nous ne pouvons pas obtenir ce que nous voulons (par la négociation), nous pourrions revenir à l’option de la résistance, car nos cadres seront toujours présents. »
Dans une tribune du journal Le Monde du 13 mars, « Palestine, l’Europe face à ses responsabilités », Robert Malley, directeur du programme Proche-Orient de l’International Crisis Group et ancien conseiller du président Bill Clinton, explique : « Le succès de La Mecque dépendra également, et pour beaucoup, de l’attitude internationale. Déjà s’élèvent des voix qui, tout en saluant hypocritement l’effort saoudien, réclament du gouvernement à venir qu’il respecte les conditions précédemment imposées. De l’administration Bush on ne s’attendait guère à mieux. Mais de l’Europe ? N’aura-t-elle rien appris de cette faillite collective ? Si accord il y a eu en Arabie saoudite, c’est bien parce que le Hamas n’a pas été sommé d’accomplir une révolution idéologique qu’il ne fera pas mais plutôt encouragé à réaliser une évolution pragmatique qu’il fera peut-être. Par conséquent, demander le respect des conditions du Quartet, c’est exiger une renégociation des accords de La Mecque, ce qui revient à les torpiller. »
« Le parcours du Hamas est tel qu’il justifie qu’on le mette à l’essai : est-il prêt à accepter et à imposer un cessez-le-feu réciproque ? Est-il disposé à laisser les mains libres au président Abbas, dûment mandaté en tant que dirigeant de l’OLP à négocier avec Israël ? Est-il d’accord pour que soit soumis à référendum tout accord que Mahmoud Abbas aura conclu ? Et s’engage-t-il à en respecter les résultats ? »
Mais l’Union européenne est-elle prête (et capable) de jouer un rôle actif dans la solutions des drames du Proche-Orient ?
Tensions entre Moscou et Téhéran
« Russia losing patience with Iran over its nuclear stance » (la Russie perd patience avec l’Iran au sujet du nucléaire), titre le Los Angeles Time du 13 mars, sous la signature de David Holley. Selon le journaliste, « la compagnie d’Etat Atomstroyexport, qui construit la première centrale nucléaire iranienne, a déclaré qu’elle ne pourrait fournir ce mois-ci le combustible à la centrale de Bushehr, qui est presque achevée, à la suite de différends sur le paiement. Le lancement de la centrale, prévu pour septembre, serait lui aussi retardé ». D’autre part, toujours selon le journal, un officiel russe a déclaré aux agences de presse russes : « L’Iran avec une bombe nucléaire ou un potentiel pour la créer est inacceptable pour nous. (...) Nous ne jouerons pas avec l’Iran le jeu de l’anti-américanisme... Les Iraniens utilisent notre attitude constructive et n’ont rien fait pour nous permettre de convaincre les autres pays de la cohérence de la position de Téhéran. » Ces informations sont confirmées par Asia-Times du 10 mars : « A key summit and Russia’s hour of decision », par Kaveh L Afrasiabi, qui rapporte ces propos de Ali Larijani, le président du Conseil national de sécurité iranien, selon lesquels il y aura de sérieuses conséquences sur les relations irano-russes si la Russie n’honore pas ses engagements de fournir du combustible nucléaire. Rappelons que Moscou non seulement construit la centrale nucléaire de Bushehr, mais qu’elle a d’importantes relations économiques et militaires avec Téhéran.