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L’Italie refuse la privatisation de la gestion de l’eau

Le 30 mai dernier le Parlement italien a décidé le principe d’un moratoire sur toute attribution de la gestion du service public de l’eau à des sociétés privées ou à capital mixte. Ce moratoire restera en vigueur jusqu’à la promulgation d’une nouvelle loi sur l’eau, qui devrait réaffirmer le primat de sa gestion publique. Une exigence portée par une pétition déjà signée par 300 000 Italiens, qui vise à promouvoir une loi nationale sur l’eau d’initiative populaire.

par Marc Laimé, 4 juin 2007

Pour Riccardo Petrella, promoteur du Contrat mondial de l’eau, cette décision est « la première défaite significative du néocapitalisme multi-utilities européen depuis quinze ans ». Elle intervient après qu’ait déjà été adopté le principe d’exclure l’eau des processus de libéralisation et de privatisation des services publics italiens.

Trois points fondamentaux soulignent l’importance du moratoire adopté au Parlement par la coalition de centre-gauche au pouvoir.

Il suspend toute attribution à un opérateur privé d’une quelconque concession en matière de gestion hydrique, entendue au sens large, et concerne donc toutes les modalités de la gestion hydrique.

Il concerne aussi bien les sociétés privées que les sociétés à capital mixte, public-privé.

Enfin le ministère de l’Environnement italien doit prochainement publier un rapport qui réaffirmera la notion de bien public de l’eau, en cohérence avec les attributions qui lui sont conférées dans le nouveau dispositif ministériel.

Le seul aspect critique de l’accord adopté concerne, selon les représentants italiens du Contrat mondial de l’eau, le fait qu’il restera possible de déléguer la gestion de l’eau à une société anonyme à capitaux publics, alors que cette gestion ressortit traditionnellement de la compétence des collectivités locales, ce qui pourrait entraver la mise en œuvre de la réforme.

Mais l’essentiel est bien que ce moratoire, et la nouvelle loi en préparation, posent le principe que la nouvelle politique de l’eau italienne sera centrée sur une « gouvernance publique de l’eau, de toute l’eau ».

Ils revêtent donc une importance majeure en réaffirmant, à l’encontre du dogme néo-libéral qui pose l’économie et le marché comme fondements ultimes de toute politique, le rôle principiel de la gestion publique dans la gouvernance des sociétés contemporaines, au niveau local et national.

Cette résistance à la doxa qui pèse sur l’ensemble des pays européens constitue un véritable coup d’arrêt à ce que les promoteurs italiens du Contrat mondial de l’eau stigmatisent sous l’appellation de “néocapitalisme municipal des multi-utilities”.

Cette appellation anglo-saxonne désigne l’ensemble des services publics essentiels que les collectivités locales délivrent à leurs administrés : eau, énergie, déchets, chauffage, propreté, transports collectifs…

Or ce néocapitalisme municipal des multi-utilities n’était pas seulement promu en Italie par le gouvernement de M. Silvio Berlusconi. A l’instar de la situation française, il trouve aussi de fervents adeptes au centre gauche actuellement au pouvoir en Italie.

Son triomphe signerait une transformation profonde du système productif, à partir de l’échelon local, et signifierait le développement d’entreprises “multi-utilities” transnationales, sur le modèle des français Veolia ou Suez, ou des géants de l’énergie qui connaissent un mouvement de concentration croissant dans toute l’Europe.

Pour Riccardo Petrella cette victoire dessine aussi les conditions qui peuvent permettre aux services publics locaux d’échapper à la libéralisation, en devenant plus efficaces.

Soit un coup d’arrêt apporté à la première étape de cette libéralisation, sous la forme de la délégation des services hydriques à des sociétés à capitaux publics créées par les collectivités. Au motif que ces entreprises publiques, de droit privé, seraient plus “souples”, plus “réactives”, et donc plus efficaces que les services publics stricto sensu.

Le refus ensuite du dogme imposé par la Banque mondiale, selon lequel la couverture des coûts du service doit être “intégrale” (“full cost recovery”), ce qui fait obstacle à la mise en oeuvre d’une tarification sociale.

Enfin l’interdiction au capital privé de participer au financement d’infrastructures d’utilité publique, par le biais des “Partenariats-public-privé”, qui continuent à se développer dans l’ensemble des pays européens.

Pour Riccardo Petrella ce processus insidieux était déjà fortement engagé en Italie, et le néocapitalisme municipal des multi-utilities s’était fortement affirmé en Emilie Romagne, en Lombardie, dans le Piémont, en Vénétie, en Toscane, et plus graduellement dans le reste du pays.

Le moratoire apporte donc un véritable coup d’arrêt à cette “colonisation” du bien commun par la finance privée, une colonisation qui dans le contexte italien se traduit aussi par une appropriation des ressources hydriques du Mezzogiorno au bénéfice du capital du Nord de l’Italie.

Cette avancée historique résulte des luttes conduites depuis une dizaine d’années par un très large mouvement italien de l’eau, avec notamment le Comitato italiano per il contratto mondiale dell’acqua, mouvements qui poursuivent leur action pour imposer une loi nationale sur l’eau d’initiative populaire.

Le contraste n’en est que plus accablant avec la situation française, qui voit les lobbies de la libéralisation de l’eau redoubler d’activisme depuis l’élection de M. Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française.

Mais rien n’interdit de rêver qu’un “printemps italien” ne ravive les luttes pour une gestion publique de l’eau, qui vont inévitablement se poursuivre en France à l’horizon des prochaines années.

Marc Laimé

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