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Abandonner le ghetto sioniste : un livre-bombe d’Abraham Burg

par Alain Gresh, 9 juin 2007

Fils d’un dirigeant historique du Parti national relgieux (PNR) et ancien ministre de l’intérieur, Abraham Burg, un juif religieux, n’est pas n’importe qui, explique le journaliste de Haaretz, Ari Shavit, dans un article intitulé « Leaving the Zionist Ghetto » (Abandonner le ghetto sioniste) publié le 9 juin. Il a été, après 1982, proche de Shimon Peres, et l’un des grands espoirs du Parti travailliste. Il a été président de l’Agence juive, président du Parlement et candidat à la direction du Parti travailliste. Il vient de publier un livre en Israël qui provoque un scandale, « Defeating Hitler » (Vaincre Hitler). Voici quelques extraits de son entretien avec Ari Shavit, qui a été outré par les propos de Burg.

Q. Etes-vous toujours sioniste ?

R. « Je suis un être humain, je suis un juif et je suis un Israélien. Le sionisme a été un instrument qui m’a fait passer du sentiment d’être juif au sentiment d’être israélien. C’est Ben Gourion qui déclarait que le mouvement sioniste était l’échafaudage pour construire une maison et que, après l’établissement de l’Etat, il devait disparaître. »

Q. Donc, vous confirmez que vous n’êtes plus sioniste ?

R. « Lors du premier congrès sioniste, c’est le sionisme de Herzl qui a vaincu le sionisme d’Ahad Ha’am. Je pense que le XXIe siècle devrait être le siècle d’Ahad Ha’am. Nous devons abandonner Herzl et passer à Ahad Ha’am. »

Note de AG sur Ahad Ha’am, de son vrai nom Asher Tzvi Ginsberg (1856-1927). Fondateur de l’organisation des Amants de Sion et l’un des pères de la littérature hébraïque, il met en doute l’idée que l’Etat juif est la solution idéale aux problèmes du peuple juif et prône, plutôt, la création en Palestine d’un centre spirituel. Il est aussi l’un des premiers à prendre conscience du "problème arabe". A l’issue de son premier voyage en Palestine, il écrit un article intitulé « Vérité de la terre d’Israël ». Il écrit : « Nous avons pris l’habitude de croire, hors d’Israël, que la terre d’Israël est aujourd’hui presque entièrement désertique, aride et inculte, et que quiconque veut y acheter des terres peut le faire sans entrave. Mais la vérité est tout autre. Dans tout le pays, il est dur de trouver des champs cultivables qui ne soient pas cultivés. (...) Nous avons l’habitude de croire, hors d’Israël, que les Arabes sont tous des sauvages du désert, un peuple qui ressemble aux ânes, qu’ils ne voient ni ne comprennent ce qui se fait autour d’eux. Mais c’est là une grande erreur. L’Arabe, comme tous les fils de Sem, a une intelligence aiguë et rusée. (...) S’il advient un jour que la vie de notre peuple [les juifs] dans le pays d’Israël se développe au point de repousser, ne fût-ce qu’un tout petit peu, le peuple du pays, ce dernier n’abandonnera pas sa place facilement. »

Q. Cela signifie-t-il que vous ne trouvez plus la notion d’Etat juif acceptable ?

R. « Cela ne peut plus fonctionner. Définir l’Etat d’Israël comme un Etat juif est le début de la fin. Un Etat juif, c’est explosif, c’est de la dynamite. »

Q. Et un Etat juif démocratique ?

R. « Les gens trouvent cette notion confortable. Elle est belle. Elle est à l’eau de rose. Elle est nostalgique. Elle est rétro. Elle donne un sens de plénitude. Mais "démocratique-juif", c’est de la nitroglycérine. »

(...) Q. Est-ce que nous devons abandonner la Loi du retour ?

R. « Nous devons ouvrir la discussion. La Loi du retour est une loi, elle est une image en miroir de Hitler. Je ne veux pas que Hitler définisse mon identité. »

Interrogé sur le fait qu’il n’est pas seulement un post-sioniste, mais aussi un anti-sioniste, il répond :

R. « Ahad Ha’am a reproché à Herzl que tout son sionisme avait sa source dans l’antisémitisme. Il pensait à autre chose, à Israël comme centre spirituel – ce point de vue n’est pas mort et il est temps qu’il revienne. Notre sionisme de confrontation avec le monde est un désastre. »

Q. Mais ce n’est pas seulement la question sioniste. Votre livre est anti-israélien, au sens le plus profond du terme. C’est un livre dont émane une répugnance à l’égard de l’israélité.

R. Quand j’étais un enfant, j’étais un juif. Dans le langage qui prévaut ici, un enfant juif. J’allais dans un heder [école religieuse]. D’anciens étudiants de la yeshiva y enseignaient. La langue, les signes, les odeurs, les goûts, les places. Tout. Après cela, pour l’essentiel de ma vie, j’ai été israélien. Aujourd’hui, cela ne me suffit plus. Je suis au-delà de l’israélité. Des trois identités qui me constituent – humaine, juive, israélienne – je sens que l’élément israélien me dépossède des deux autres.

(...) Q. Vous dites qu’Israël est un ghetto sioniste, impérialiste, une place brutale qui ne croit qu’en elle-même.

R. « Regardez la guerre du Liban. Les gens sont revenus du champ de bataille. Des choses ont été accomplies, d’autres ont échoué, il y a eu des révélations. Vous pourriez penser que les gens du centre (mainstream) et même de la droite comprendraient que l’armée voulait gagner et qu’elle n’a pas gagné. Que la force n’est pas la solution. Et puis on a Gaza, et quel est le discours sur Gaza ? Nous allons les écraser, nous allons les éradiquer. Rien n’a changé. Rien. Et ce n’est pas seulement nation contre nation. Regardez les relations entre les gens. Ecoutez les conversations personnelles. Le niveau de violence sur les routes, les déclarations des femmes battues. Regardez l’image d’Israël que renvoie le miroir. »

Q. Vous dites que le problème n’est pas seulement l’occupation. A vos yeux, Israël est une sorte d’horrible mutant.

R. « L’occupation n’est qu’une petite partie du problème. Israël est une société qui a peur. Pour chercher la source de cette obsession de la force et pour l’éradiquer, vous devez affronter les peurs. Et la méta-peur, la peur primaire, ce sont les six millions de juifs qui sont morts avec l’holocauste. »

(...)

Q. Dans votre livre, nous ne sommes pas seulement des victimes du nazisme. Nous sommes presque des judéo-nazis. Vous êtes prudent. Vous ne dites pas qu’Israël est l’Allemagne nazie, mais vous n’en êtes pas loin. Vous dites qu’Israël en est au stade de l’Allemagne pré-nazie.

R. « Oui. J’ai commencé mon livre par l’endroit le plus triste. Comme un deuil, mais un deuil d’Israël. Pendant l’essentiel du temps où j’ai écrit, j’avais un titre : "Hitler a gagné". Je pensais que tout était perdu. Mais, petit à petit, j’ai découvert que tout n’était pas perdu. Et j’ai découvert mon père comme représentant des juifs allemands, qui était en avance sur son temps. Ces deux thèmes nourrissent mon livre du début à la fin. A la fin, je deviens optimiste et la fin de mon livre est optimiste. »

Q. La fin est peut-être optimiste, mais tout au long du livre vous dressez un signe d’égalité entre Israël et l’Allemagne. Est-ce vraiment justifié ? Y a-t-il une base suffisante pour cette analogie ?

R. « Ce n’est pas une science exacte, mais je vais vous donner quelques éléments qui s’inscrivent dans cette analogie : une grande sensibilité à l’insulte nationale ; un sentiment que le monde nous rejette ; une incompréhension aux pertes dans les guerres (unexplained losses in wars). Et, comme résultat, la centralité du militarisme dans notre identité. La place des officiers de réserve dans notre société. Le nombre d’Israéliens armés dans la rue. Où est-ce que cette foule de gens armés va ? Les expressions hurlées dans la rue : "les Arabes dehors". »

La France et le Liban

Dans un article de Paris de son correspondant Bassam Tayara, le quotidien Al-Akhbar (proche de l’opposition) du 5 juin revient sur les signes d’un éventuel changement de la politique française à l’égard de la crise libanaise. Cet article est intitulé « Des changements de la France préparent une table de négociations au Liban ». Beaucoup d’incertitudes entourent la direction que prendra la diplomatie française, écrit ce correspondant. Mais certains signes de changements apparaissent déjà. « Quelques diplomates pensent que Paris n’est pas seulement entré dans l’ère de l’après-Chirac mais aussi de l’après-tribunal » (celui qui est chargé de juger les responsables de l’assassinat de Rafic Hariri). Le journaliste note que le président Sarkozy a envoyé un message au président Assad à la suite de son élection, mais que son contenu n’a pas été rendu public (même le fait qu’il a été envoyé n’a pas été rendu public). Qatar, toujours selon le journaliste, jouerait un rôle actif de médiation sur ce dossier libanais. La rencontre entre le général Michel Aoun, chef du Courant patriotique libre et élément essentiel de l’opposition, et Bernard Kouchner a été une "prise de pouls" qui pourrait servir de première étape à une initiative de Paris pour réunir les protagonistes de la crise libanaise. On annonce effectivement la tenue d’une réunion, sous l’égide de la France, de tous les acteurs libanais d’ici la fin juin. Par ailleurs, dans un article de The Independent du 3 juin, intitulé « Can the Lebanese army fight America’s war against terror ? », Robert Fisk révèle que s’est tenue il y a une semaine une réunion secrète d’officiers de renseignement français, italiens et espagnols avec de hauts responsables du Hezbollah, et qu’ils auraient reçu l’assurance que le Hezbollah protégerait leurs soldats contre des actions d’Al-Qaida et du Fatah Al-Islam.

Alain Gresh

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