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Une défaite israélienne à Sderot

par Alain Gresh, 11 juin 2007

Alors que les dirigeants israéliens envisagent une opération de grande envergure à Gaza, Zeev Schiff, le chroniqueur militaire de Haaretz, proche des cercles dirigeants de l’armée, publie un article le 8 juin intitulé « An Israeli defeat in Sderot ».

« Même si nous déclarons des dizaines de fois que le Hamas est sous pression et qu’il veut un cessez-le-feu, cela ne supprimera pas le fait que, dans la bataille de Sderot, Israël a été effectivement battu. (...) Israël a vécu à Sderot quelque chose qu’il n’avait jamais vécu depuis la guerre d’indépendance, et peut-être jamais : l’ennemi est arrivé à réduire au silence une ville entière et y a stoppé toute vie normale. »

Au-delà des explications données par l’establishment politique et militaire, il y a le résultat : « Le résultat est que s’est mise en place une dissuasion réciproque entre Israël et la bande de Gaza contrôlée par le Hamas. Israël est en match nul (draw) avec le Hamas. C’est un sérieux échec national, pire, à mon avis, que l’échec dans la seconde guerre du Liban ».

Cela a conduit à une situation dans laquelle la profondeur stratégique d’Israël n’a plus d’importance : « Si ce qui se passe dans la bande de Gaza devait arriver à Israël en Cisjordanie, nous reviendrions à une situation comme celle de la guerre d’indépendance, et cela impliquerait l’expulsion de ceux qui appuient les terroristes. » On notera avec quelle désinvolture Schiff évoque l’expulsion de « ceux qui appuient les terroristes », c’est-à-dire les civils, et la manière dont il justifie l’expulsion de 1948-1949 de centaines de milliers de Palestiniens.

Schiff regrette en conclusion la disparition d’un principe stratégique défini par David Ben Gourion : quand un conflit éclate, « Israël doit rapidement porter le combat en territoire ennemi. A l’heure actuelle, c’est l’ennemi qui a transféré immédiatement les combats sur le territoire israélien ».

Au-delà du cynisme du commentaire, il est important de noter le changement stratégique auquel on a assisté depuis plus d’un an et qui avait été illustré par la guerre du Liban de 2006. Israël fait désormais face à des acteurs non étatiques (Hezbollah ou Hamas), disposant d’armes efficaces, capables de frapper le territoire israélien et de porter des coups que les armées arabes n’ont jamais été capables de porter. La difficulté d’Israël à « régler » le problème des tirs de roquettes sur Sderot illustre l’impossibilité du maintien du statu quo. En écrasant l’Autorité palestinienne, en construisant le mur, en se désengageant unilatéralement de Gaza, le gouvernement israélien avait cru trouver une stratégie pour à la fois poursuivre l’occupation et la colonisation des terres palestiniennes et assurer la sécurité des Israéliens. Ce calcul a échoué.

Pourtant, on ne saurait se réjouir de cette évolution, évolution qui touche tout le Proche-Orient et que j’avais évoquée dans un envoi, « Un nouveau paysage proche-oriental », paysage marqué par la multiplication des acteurs non étatiques, de l’Afghanistan à la Somalie, par la multiplication des conflits, et par l’usage d’armes de plus en plus meurtrières. C’est surtout le chaos qui se répand...

Darfour ou Tchad ?

L’association Médecins sans frontières lance un appel dans un communiqué en date du 8 juin et intitulé « Urgence dans l’Est du Tchad »

Alors que le Darfour fait l’objet d’une surenchère politique – corridors humanitaires à partir du Tchad, sécurisation, etc. – peu en rapport avec la réalité de terrain, une crise humanitaire touche aujourd’hui plus de 150 000 déplacés internes dans l’est du Tchad. Aujourd’hui, une enquête de Médecins sans frontières confirme l’urgence dans cette région. Pourtant, l’assistance reste largement insuffisante et MSF se heurte à de nombreux obstacles pour renforcer ses activités.

« Dans l’est du pays, les attaques récurrentes et meurtrières sur les villages depuis un an et demi ont contraint des dizaines de milliers de personnes à prendre la fuite. Regroupées dans des camps où leur sécurité n’est toujours pas garantie, elles vivent sous des huttes sommaires, manquent de nourriture, d’eau et d’accès aux soins. »

Un bombardement nucléaire de l’Iran ?

Le 30 mai, le Wall Street Journal, publiait une tribune du néoconservateur Norman Podhoretz, « The Case for Bombing Iran » (les arguments pour bombarder l’Iran) avec, en sous-titre, « I hope and pray that President Bush will do it » (j’espère et prie que le président Bush le fera). Podhoretz est éditeur de la revue Commentary et il annonce la parution de son nouveau livre pour le 11 septembre 2007 : World War IV : The Long Struggle Against Islamofascism. On trouvera dans sa tribune tous les fantasmes des néoconservateurs américains sur la quatrième guerre mondiale contre l’islamo-fascisme, les risques d’un nouveau Munich, l’islamisation de l’Europe, etc.

Norman Podhoretz s’interrogeait, dans un article du New York Post du 25 juillet, à propos de la guerre au Liban : « Est-ce que les démocraties libérales n’ont pas évolué à un point où elles ne peuvent plus mener de guerres efficaces à cause du niveau de leurs préoccupations humanitaires pour les autres… ? » Et il poursuivait : « Et si notre erreur tactique en Irak était que nous n’avions pas tué assez de sunnites au début de notre intervention pour les intimider et leur faire tellement peur qu’ils accepteraient n’importe quoi ? Est-ce que ce n’est pas la survie des hommes sunnites entre 15 et 35 ans qui est la raison de l’insurrection et la cause fondamentale de la violence confessionnelle actuelle ? »

Mais on aurait tort de croire que ses appels au bombardement de l’Iran ne rencontrent aucun écho. Lors d’un débat le 5 juin entre les différents prétendants à l’investiture républicaine pour la prochaine élection présidentielle américaine, seul un des prétendants (sur dix) a écarté l’idée d’un bombardement nucléaire de l’Iran.

Réponse à Luttwak

J’avais signalé dans un précédent envoi, « Le Moyen-Orient au milieu de nulle part », l’article d’Edward Luttwak paru dans Prospect de mai 2007. Dans la livraison de juin, Charles Glass, auteur de plusieurs livres sur le Proche-Orient, lui répond : « What Luttwak didn’t say » (Ce que Luttwak n’a pas dit).

« La critique sarcastique et méprisante de Luttwak pour une région dans laquelle les Américains ont fait preuve d’un intérêt impérial exagéré s’accompagne de l’observation juste selon laquelle le Moyen-Orient n’est pas suffisamment important pour que l’on se batte pour lui. Mais Luttwak ne pousse pas cet argument jusqu’à sa conclusion évidente : si le Moyen-Orient n’est pas si important, les Etats-Unis devraient arrêter de vendre des armes et de fournir des aides militaires à la région. Cela signifie se retirer de l’Irak, fermer les bases au Koweït, à Qatar et à Bahreïn ; arrêter les livraisons à la monarchie réactionnaire d’Arabie saoudite ; couper l’aide à Israël. »

« Pourquoi les contribuables américains devraient-ils payer au total 5,5 milliards de dollars chaque année à Israël pour qu’il puisse dominer une région dont la valeur stratégique diminue ? Si les Etats-Unis ne fournissent pas à Israël des bombes à fragmentation, Israël ne pourra en lancer des millions sur tout le Sud-Liban. Et pourquoi envoyer des armes à l’Arabie saoudite, un pays qui n’a jamais été en guerre ? (...) Les Etats-Unis arment Israël, l’Egypte, la Jordanie, le Koweït, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unies, Oman et la fraction du Fatah au sein de l’Autorité palestinienne. Dans l’intérêt de qui ? Les Etats-Unis devraient présenter une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies pour imposer un embargo sur les ventes d’armes à tous les Etats de la région. (...) Cela rendrait la région – et nous aussi – plus sûrs (safe). »

Alain Gresh

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