En kiosques : mars 2024
Abonnement Faire un don
Accéder au menu

« Mektoub », la fourberie des colonisés

par Alain Gresh, 6 octobre 2007

L’islam imaginaire

Vient de paraître en édition de poche cet excellent livre de Thomas Deltombe (L’islam imaginaire, La Découverte, 382 pages, 11 euros) sur "la construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005". Cet ouvrage analyse notamment le discours (et les images) que véhiculent les deux principales chaînes de télévision françaises et montre comment s’est construite l’image de l’Autre, d’un musulman imaginaire qui nourrit nos peurs et nos fantasmes.

Violence en Afghanistan

Selon un article de McClatchy Newspapers, signé par Jonathan S. Landay, « U.N. : Violence in Afghanistan up almost 25 percent in ’07 » (Les Nations unies : la violence a augmenté en Afghanistan de 25 % en 2007).

On a compté 525 incidents de sécurité – attaques par les talibans et d’autres groupes violents, bombes, terrorisme de toute sorte, enlèvements – en moyenne durant la première partie de l’année 2007 – contre 425 incidents par mois en 2006.

Le rapport des Nations unies souligne que la nature de la rébellion taliban a changé. Les guérilleros ont monté moins d’attaques conventionnelles contre les forces de l’OTAN dirigées par les Etats-Unis et se sont plutôt concentrés sur les attentats-suicide, les IED (improvised explosive devices, bombes qui percent les blindages), l’intimidation et les enlèvements.

Israël et Birmanie

Dans un article de Haaretz du 2 octobre, « Democracy is more than going to the polls », Amira Hass écrit :

« Dans l’empire soviétique et l’Afrique du Sud raciste, comme à Burma (Myanmar) aujourd’hui, s’opposer à l’oppression impliquait un risque personnel élevé. On pouvait donc comprendre la décision d’un individu de ne pas passer à l’acte (de résistance). En Israël, parce que l’Etat est une démocratie pour les juifs, ceux qui restent tranquilles, ignorant ce qui se fait en leur nom, portent une lourde responsabilité. »

« Mektoub », la fourberie des colonisés

C’est un petit roman, Mektoub, écrit par le capitaine A. et Yvon de Saint-Gouric et publié en 1923 aux éditions du Mercure africain, Alger. Il a connu un grand succès, (36e mille ,est-il mentionné sur la couverture). Dans l’avertissement, nous sommes informés que ce que les auteurs ont écrit, c’est « ce que tous ceux qui connaissent bien les choses d’Algérie pensent sans oser le dire, car la masse à laquelle il “faut plaire” est ignorante et de parti-pris. ». Et ils ajoutent : « Nous voulons simplement éviter une catastrophe qui ne se produira pas si chacun veut bien réagir à temps. »

Ce qui est étonnant dans ce livre c’est son mélange de racisme assumé et d’une vision prémonitoire : l’Algérie ce n’est pas la France et les Algériens n’ont jamais accepté et n’accepteront jamais une domination étrangère. Il n’est évidemment pas anodin que ce soit le récit d’une femme. « La preuve éclatante, découvrira l’héroïne, que l’Arabe est d’une civilisation rétrograde, est l’inconsidération dans laquelle la femme est tenue », un thème appelé à se perpétuer jusqu’à nos jours – on pourra lire, dans la même veine, mais adaptée à l’époque, le best-seller de Betty Mahmoody, Jamais sans ma fille, sur l’histoire d’une Américaine qui épouse un Iranien et qui le suit en Iran. Enfin, le mensonge et la fourberie sont les caractéristiques essentielles des Arabes, un thème que l’on retrouve régulièrement aujourd’hui, y compris parfois sur les commentaires de ce blog.

Ce roman raconte l’histoire d’une jeune femme parisienne, Simone de B. C’est une rêveuse, une romantique : « J’espérais connaître un jour cet Orient fatal où l’on pleure, où l’on souffre, mais où l’on aime aussi ; cet Orient où les passions vibrent, où tout revêt un caractère mystérieux et sacré, bien fait pour enflammer notre imagination de jeunes filles jalousement gardées. » Le déclenchement de la guerre de 1914 l’amène à s’engager comme infirmière et à partir au front dès la fin du mois d’août. Un soir, arrive un blessé. « Mais c’est un beau Noir ! m’écriai-je soudain, en découvrant la face du soldat à la lumière. (…) Ce n’était pas, à vrai dire, un nègre, mais, parisienne, je personnifiais l’ignorance de tout ce qui touche à nos colonies et, pour moi, tout visage humain qui n’était pas blanc ou jaune, était noir. » Elle va donc soigner Rabah, un Algérien, de tout son cœur.

On sent déjà que Rabah est fourbe (une caractéristique de tous les Arabes, comme l’explique le roman) ; il n’est pas blessé aussi sévèrement qu’il le prétend ; il dit à plusieurs reprises « quand nous aurons des canons » (sous-entendu pour nous battre contre les Français), mais Simone ne comprend pas. Après deux mois, Rabah reçoit un mois de convalescence à l’arrière. Avant de partir, il lui propose de venir avec lui dans son pays. Elle dit non, mais ajoute : « Ma pensée, franchissant les espaces, va retrouver mes idées romantiques ; je vogue en plein Orient (…) C’est l’oasis mystérieuse, ce sont les palmiers, c’est le désert, ce sont les mirages ! ce sont les contes des mille et une nuits ! »

Finalement, elle succombe à ses avances « Je sens en Rabah cette invisible puissance d’attraction, puissance qu’offrent surtout les oppositions les plus grandes. Lui si fort, si viril, si mâle ; moi si faible, si assoiffée de tendresse et de protection. En un mot, je suis sous sa domination. »

Simone décide de le suivre. Elle reçoit des lettres de son père et de sa mère qui la mettent en garde et la somment de rentrer à la maison. Sa mère lui écrit : « A la seule pensée que ton corps pourrait être touché par celui d’un Arabe, j’éprouve la répulsion qu’on ressent au frôlement d’un crapaud. » Un major la met en garde contre les Arabes chez qui « la dissimulation est encore plus complète » et il lui cite un homme « qui connaît bien leur mentalité et qui a dit : « S’il fallait élever une statue au mensonge, il faudrait la revêtir d’un burnous. »

Ainsi s’achève cette première partie, intitulée, cela ne s’invente pas, « Chez les civilisés » et s’ouvre la seconde partie, « Dans le bled ». Simone prend le bateau et son réveil est brutal. Rabah lui déclare immédiatement : « Ce n’est pas en mariage que je prends une femme française, mais en esclavage. Le mélange des races est impossible. Quoi ! la brebis peut-elle épouser le loup ! » C’est le début de son « calvaire », qui va durer six ans. « Ah ! pourquoi avant ce coup de tête n’avais-je étudié les relations entre les hommes des différents continents ? Pourquoi n’avais-je pas établi courageusement avec moi-même une gradation, suivant le degré de civilisation ? », s’interroge-t-elle.

Le mensonge est une des caractéristiques des Arabes. Et quand Simone exhorte Rabah à dire la vérité, il réplique : « Peut-être as-tu raison pour toi, pour ta race toujours prête à dévoiler ses actes et ses secrets, mais ma race a plus de force, on la craint davantage parce qu’on ne sait justement rien d’elle, parce qu’elle sait cacher, dissimuler la vérité sous des allégations mensongères. L’on se trompe sur ses intentions, ses croyances, ses desseins, et c’est là ce qui la rend, à chaque instant, redoutable pour tous. »

« Cruel, assassin, mon Rabah avait encore un autre trait, commun avec beaucoup d’Arabes. Il était d’une avidité farouche. (…) Mais l’Arabe n’est pas seulement avare ; il est généralement voleur. Oui, il a la passion du vol. Il savoure les délices du rapt, comme celles de l’assassinat et du viol. »

Et Simone découvre la haine que les Arabes portent aux colons. « Ce qui me révoltait le plus, c’était la guerre sournoise, hypocrite, cachée sous des manières loyales, que faisaient Rabah et ses semblables contre le roumi. C’est la guerre qui ira un jour jusqu’à l’extermination si l’on n’y prend garde. » Ce sont tous des « sauvages », y compris « le bellâtre au fez pointu et au veston dernière mode, ayant reçu une éducation supérieure dans nos écoles »

Portrait du père de Rabah, un vieillard qui, en 1871, avait perdu la vue au moment de « la répression de l’insurrection » (en France). Son seul sujet de conversation, c’est le roumi : « Le Français qui a fait tant de mal au seul propriétaire de l’Algérie, l’Arabe. La France qui a conquis son pays, l’a subjugué, l’a dominé, a implanté sa langue, ses mœurs, son drapeau. Quelle haine dans ses paroles ! ». « Il veut ignorer les bienfaits de la colonisation française et veut oublier que la domination arabe est synonyme de destruction » Et elle cite Ernest Renan sur l’islam !

Partout, s’inquiète Simone, les colons reculent, abandonnent. « Dans les grandes villes, la progression n’est pas moins active ; chaque jour, une porte nouvelle s’ouvre aux indigènes. Nous sommes partout, à tous les degrés de l’échelle sociale, dans tous les commerces et dans toutes les industries ; nous occupons sans cesse de nouvelles fonctions publiques ; nous sommes : officier, délégué financier, conseiller général, conseiller municipal, médecin, avocat, professeur, etc., etc. » Et elle ajoute : « Et quand sonnera l’heure de la délivrance, au moment où tout semblera le plus calme, un immense incendie s’allumera sur toute l’Afrique du Nord. Toutes les forêts brûleront, allumées méthodiquement… »

A l’occasion d’un incendie, elle finit pas s’enfuir. C’est en 1921. Elle n’a plus qu’un but, « dire la vérité, prévenir le coup qui se prépare, dérouter l’organisation et faire échouer le plan ». « Il faut montrer cette faute énorme qui consiste à donner aux Arabes l’instruction nécessaire pour arriver aux plus hauts emplois de l’Administration ; les laisser briguer les honneurs, accaparer les services et, surtout, oh ! cette faute plus grande encore : ne pas se méfier d’eux. Si nos dirigeants persévèrent dans cette voie, c’en est fait de notre belle colonie. » Simone espère ainsi contribuer à sauver « cette Algérie, cette Afrique du Nord, qui est un des plus beaux joyaux de France ! »

Alain Gresh

Partager cet article