Monter en épingle de prétendus « privilèges », et travestir le nivellement par le bas en souci d’« équité », telle a été la stratégie du gouvernement français au cours des grèves de novembre pour la défense des régimes spéciaux de retraite. Ce rideau de fumée dissimule le dessein de voir la retraite par capitalisation supplanter la retraite par répartition. Et la toile de fond européenne n’est guère rassurante : l’objectif semble être d’écarter tout débat sur la répartition des gains de productivité, au profit d’un allongement indéfini de la durée de cotisation.
L’article de l’économiste Antoine Rémond, à lire dans Le Monde diplomatique de décembre 2007, est proposé au débat sur le forum ci-dessous.
(M. Angel Gurría, secrétaire général de l’OCDE, 22 novembre 2007.)
Derrière l’actuel débat sur les retraites se dessine en réalité le choix entre système par répartition et système par capitalisation. Et plus généralement le niveau des prélèvements obligatoires. Cette discussion est ancienne. Les générations du baby-boom étaient à peine arrivées sur le marché du travail que déjà on abordait la question de leur retraite. Et, dès les années 1980, certains médias invoquaient l’urgence d’une réforme (1). Les premières prospectives officielles sur le sujet datent de 1985 avec l’installation de la commission du Plan, présidée par M. Léon Tabah, sur la « solidarité entre générations face au vieillissement démographique ». S’ensuivit un rapport, publié en juin 1986, qui présenta pour la première fois des projections à long terme (2). Le débat reprit de la vigueur en 1990 à l’occasion d’un numéro spécial de la revue Economie et Statistiques (3). La presse embraya, et la question fut posée aux responsables politiques. La suite est connue : Livre blanc sur les retraites en 1991, « réforme » du régime général en 1993, rapports, éditoriaux et articles alarmistes, sondages, « réforme » du régime des fonctionnaires en 2003...
Voici venu le tour des « régimes spéciaux » de retraite. Selon un processus désormais familier (4), les éditorialistes les plus en vue pourfendent les opposants à une « réforme nécessaire » (5). Dans les instances gouvernantes, on a pleinement conscience de cet avantage. Le 17 octobre, on entendait ainsi au ministère du travail : « Si la journée de jeudi est un succès, les journalistes écriront : “Comme prévu, la journée du 18 a montré la mobilisation syndicale.” Si elle devait être moins suivie, ils écriront : “Les syndicats n’ont pas su mobiliser.” (6) »