«La nationalisation d’accord, mais partielle et temporaire ! » Ils se relaient en boucle à tous les micros comme pour conjurer le spectre hideux du capitalisme d’Etat, cette abomination qui les a tenus sur la brèche depuis deux décennies. « Ils » ? Toujours les mêmes bien sûr : répétiteurs libéraux, préposés à la rectification des erreurs socialistes et à la rééducation market friendly, experts permanents et patentés, autorités d’avant la crise comme d’après. Bien sûr une vue raisonnablement ambitieuse des choses se féliciterait de leur avoir arraché une fois dans leur vie le mot « nationalisation », eux qui n’ont cessé de proclamer la supériorité du marché et du privé. Mais le compte n’y est pas tout à fait et leur allégresse à faire payer par la puissance publique, qu’ils ont tant méprisée, les pots cassés normalement réservés aux actionnaires a de quoi donner quelques aigreurs.
De quelques envies de nationalisations punitives
Hors tout argument de principe, il y a déjà dans cette affaire plus qu’il n’en faut pour justifier de céder à la mauvaise humeur et à la tentation de la nationalisation méchante, c’est-à-dire permanente, peut-être même un peu confiscatoire sur les bords. À commencer par le comportement des banques récipiendaires de l’aide publique elles-mêmes. On aurait pu imaginer que ces messieurs, n’ayant jamais manqué une occasion de se proclamer la race des seigneurs ni de ridiculiser l’archaïsme misérable de l’action publique, adopteraient un profil moins flamboyant au moment de se rendre à l’équivalent pour eux de la soupe populaire. Rien du tout ! Ils portent haut comme d’habitude et leur cynisme n’a pas pris une ébréchure. Ceux qui imaginaient que les aides gouvernementales avaient vocation à permettre aux banques de redémarrer les émissions de crédit aussi vite que possible risquent donc d’en être pour leurs frais – c’est le cas de le dire. Quatre jours après avoir aimablement encaissé 25 milliards de dollars de recapitalisation au bon cœur du contribuable étasunien, Jamie Dimon, le président de JP Morgan Chase livre dans une conférence interne sa vision de leur meilleure utilisation (1). Il n’y est nulle part question du moindre crédit supplémentaire à l’économie. Davantage, en revanche de financer les suites opérationnelles de l’intégration récente de Washington Mutual, et surtout d’accumuler les moyens de nouvelles acquisitions car, on ne le dit pas assez, les crises sont des périodes fastes si on sait les prendre du bon côté : les mal-portants sont légions et leurs cours de Bourse anéantis les désignent comme des proies excellent marché pour ceux qui restent à peu près à flots… et peuvent compter sur les concours financiers de l’Etat pour financer leurs emplettes. « Je pense qu’il va y avoir de grandes opportunités pour nous dans cet environnement » (2) déclare sans l’ombre d’un embarras de conscience l’un des dirigeants de JP Morgan, « et je crois que nous avons l’occasion d’utiliser ces 25 milliards de dollars de cette façon » – pour le coup, on peut leur faire confiance.
Au moment où la crise fait exploser à la face de l’opinion publique internationale ce mélange, auquel aucune autre corporation ne résisterait, de rémunération obscène, d’incompétence manifeste et d’irresponsabilité sans borne – puisque raflant les profits de la bulle, la finance laisse les dégâts du krach à toute la collectivité … avant de l’appeler à son secours ! –, il y a dans le cynisme bancaire une constance et une fraîcheur inentamée qui finiraient presque par forcer l’admiration. Dans le cas de la banque britannique Barclays, c’est l’absence complète de remords et une forme d’intransigeance idéologique acharnée qui étonnent le plus. Car Barclays, elle, ne veut pas de l’Etat. Ni de son secours ni, surtout, de sa présence. C’est que le gouvernement britannique, qui a un peu plus de suite dans les idées que les autres, a décidé que financer c’était nationaliser, fut-ce partiellement, et que nationaliser c’était avoir voix au chapitre. Or le gouvernement a laissé entendre qu’il entrait dans « la voix au chapitre » de reprendre la main sur les rémunérations des banquiers et d’y mettre bon ordre. Bien sûr on n’imagine pas d’agression caractérisée, juste le minimum cosmétique permettant de calmer momentanément la fureur du public. Mais même de ce minimum, Barclays ne veut à aucun prix. Son président Bob Diamond, que son nom prédestinait sans doute aux bonus exorbitants, n’a-t-il pas empoché 20 millions de livres au titre de l’année 2007 ? Il ferait beau voir que l’Etat, socialiste par nature, lui impose de renoncer si peu que ce soit à la juste rémunération de ses mérites. Aussi, plutôt que d’en venir à cette abomination dernière, et parce que tout de même ses pertes rondelettes la contraignent à la recapitalisation, Barclays a-t-elle imaginé, sur le mode du « tout mais pas ça », d’échapper à l’Etat en se jetant dans les bras d’investisseurs du Qatar et d’Abu Dhabi (3).
Ce n’est pas d’en appeler à tel investisseur plutôt qu’à tel autre qui soit remarquable ou discutable en soi, ce sont plutôt les conditions dans lesquelles on sollicite les uns pour ne pas vouloir de l’autre. Car la secourable entrée des investisseurs du Golfe a son prix qui défie la rationalité économique. Il faut dire qu’en matière de recapitalisation des banques occidentales, les fonds souverains ont déjà donné… et s’en souviennent encore : persuadés qu’avec la déconfiture de Bear Stearns et son sauvetage par les autorités étasuniennes, la crise avait atteint son point extrême et que les valeurs ne pouvaient que remonter, les fonds souverains avaient jugé venu le moment de leur entrée en scène sur le double mode de la générosité salvatrice et de la bonne affaire opportunément ramassée. Las, c’était en mars 2008, et l’on sait ce qui est advenu depuis… Pour les convaincre d’y revenir après la saint Barthélémy de l’automne, il fallait y mettre le prix. Au nom de l’intégrité du privé et de la préservation des bonus, Barclays y était prête. Mais quel prix ! Le gros de l’opération de recapitalisation (3 milliards de livres) consiste en un paquet d’actions préférentielles destiné aux deux fonds souverains. Là où les actions ordinaires sont rémunérées par un dividende, dont chacun sent bien qu’il sera probablement maigrelet dans les années qui viennent, les actions préférentielles, assimilées à une participation en capitaux propres, ont le délicieux avantage de jouir néanmoins d’une rémunération garantie, à l’image des obligations. Or la garantie dont Barclays gratifie ses nouveaux actionnaires n’est pas mince : 14% avant impôt jusqu’en 2019… Certes les actionnaires ordinaires ne sont pas non plus des amis du socialisme, mais certains d’entre eux commencent à l’avoir mauvaise au moment où ils réalisent que Barclays envisage de payer à leurs frais sa détestation de l’Etat et sa préférence pour les bonus. Il est vrai que faire ceinture alors que les deux nouveaux entrants sont accueillis avec du 14% garanti sur dix ans n’entre dans aucune définition, même très élastique, de l’équité – précisons : de l’équité interactionnariale. Et ceci d’autant moins qu’à 3 milliards de livres d’actions préférentielles plus 2,8 autres d’actions convertibles réservés aux mêmes, et un paquet supplémentaire de warrants, la recapitalisation a des effets dilutifs dont les actionnaires ordinaires sont les premières victimes.
La présence d’« actionnaires » et « victimes » dans la même phrase, le second s’appliquant au premier, laisse immanquablement une impression bizarre. Mais, on l’aura compris, il s’agissait moins d’invoquer les normes de la justice absolue que de montrer jusqu’où le capital privé se montre prêt à aller pour échapper à la nationalisation et préserver la souveraineté de l’argent. Et de suggérer par là combien ce genre de spectacle rend d’autant plus impérieuses les envies de nationalisation, d’ailleurs sous une forme qu’on voudrait particulièrement brutale. On objectera sans doute que ce sont là des arguments sanguins qui ne devraient pas avoir part à la décision. C’est un point de vue. Evidemment il faut avoir un œil de colin froid pour s’y tenir, et tout le monde n’a pas cette chance. De moins en moins de monde au demeurant. Un sondage réalisé auprès de 115 directeurs financiers de grandes entreprises étasuniennes révèle que 58% d’entre eux s’attendent à ce que l’argent public reçu par les banques serve surtout à financer de nouvelles acquisitions ou (pour 40% des répondants) à maintenir rémunérations et bonus (4). On ne s’attardera pas sur les mérites scientifiques d’un sondage probablement pire que la moyenne d’un genre génériquement avarié, si ce n’est pour en retenir l’information brute qu’il se trouve tout de même un nombre considérable de directeurs financiers désabusés au point de soupçonner à leur tour les banques de recevoir l’argent du contribuable avec toutes les intentions du monde, sauf celle de prêter. Il devrait être assez clair que les directeurs financiers étasuniens ne sont pas par principe ennemis des grasses rémunérations. Mais, que celles des banquiers soient maintenues par les fonds des plans de sauvetage publics, même à eux la chose semble discutable…
En situation de récession : la nationalisation-coordination
Quand bien même elle n’aurait que ces arguments-là en sa faveur, la nationalisation punitive du secteur bancaire ne serait pas moins entièrement justifiée. Il se trouve qu’elle en a d’autres, sans doute plus recevables pour le lecteur moins intempérant, et, il est vrai, plus analytiques. On les trouverait, pour commencer, dans le droit fil du grand troc implicite – dont les Etats sont les dindons – qui voulait échanger aides publiques contre reprise du crédit. Le gouvernement français s’ahurit d’avoir été floué et découvre qu’ayant tout fait… il n’a aucun pouvoir dans les banques renflouées ! L’eût-il vraiment désiré, il lui aurait suffi de s’en donner les moyens, et notamment d’intervenir en fonds propres afin d’avoir aux conseils des banques une participation politique proportionnée à sa participation financière. Mais, pour l’heure, le gouvernement a choisi des instruments de dette, suffisamment sophistiqués pour, moyennant quelques torsions réglementaires, avoir l’air de recapitaliser… sans véritables apports de fonds propres.
Les 10,5 milliards d’euros apportés à six banques (BNP Paribas, Crédit agricole, Banques populaires, Crédit Mutuel, Société générale, Caisses d’épargne) fin octobre 2008, ont pris la forme de dettes hautement subordonnées, dont l’exigibilité est la plus faible possible, au point de les assimiler à de quasi-fonds propres. La dette subordonnée est ainsi admissible pour la constitution de la base de capitaux propres entrant dans la définition du ratio de solvabilité Tier-1 pourvu qu’elle ne dépasse pas une certaine proportion. Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a offert son concours à la discrète modification réglementaire qui a permis de relever la part maximum de la dette subordonnée de 25 à 35% du total des capitaux propres « Tier-1 »… On comprend bien l’avantage du point de vue des finances publiques : par construction, la dette subordonnée doit être remboursée – en l’occurrence son échéance est de cinq ans, et elle porte un taux d’intérêt supérieur de 400 points de base aux taux des titres d’Etat de même maturité, ce qui, si aucun des renfloués ne fait faillite entre temps, rend ce concours de l’Etat réversible et en fait même une assez bonne affaire. On en comprend symétriquement les inconvénients pour les banques : il s’agit d’une « recapitalisation »… mais temporaire, puisque, au moment du remboursement, les ratios de capital des banques perdront instantanément ce qu’ils avaient gagné au moment de recevoir les fonds – en fait l’Etat gagne du temps et espère que d’ici 2013 les banques auront refait du gras. On en voit enfin les limites du point de vue de la puissance publique qui voudrait obtenir des banques qu’elles se remettent à prêter en contrepartie de ces aides, puisque la différence entre « vrais » fonds propres et « quasi fonds propres », c’est le droit de vote ! La dette subordonnée n’est assimilable à du capital propre que d’un point de vue strictement comptable et réglementaire ; elle reste séparée des actions en cela qu’elle ne confère aucun droit « politique » à son porteur en assemblée générale des actionnaires ou, mieux, au conseil d’administration. L’Etat apporte donc des milliards, mais sous une forme qui le prive d’emblée de toute influence stratégique. C’est pourquoi le désarroi du gouvernement, qui pensait les banques bonnes filles et prêtes à se sentir ses obligées, fait peine à voir. La morale de la réciprocité n’a jamais vraiment été leur truc et, si encaisser les aides sans être formellement contraintes de prêter s’avère de leur point de vue plus confortable qu’encaisser les aides et prêter, il ne devrait pas y avoir lieu de s’étonner qu’elles choisissent la première solution, sauf persistance attardée d’une âme d’enfant ou accès de débilité profonde.
Quand bien même, par une sorte de miracle moral incompréhensible, les banques ne suivraient pas leur ligne de plus grande pente du cynisme opportuniste, leur réticence à prêter ne serait pas aisément surmontée. Car le bon vouloir n’est pas seul en cause dans cette affaire et il est rationnel pour une banque confrontée à un contexte macroéconomique extraordinairement adverse de retenir ses émissions sauf à prendre le risque de voir ses prêts nouvellement accordés tourner très rapidement en mauvaises créances. Le propre d’une récession aussi violente que celle qui s’annonce est de transformer des agents économiques sains ex ante en futurs mal-portants. Dans ce processus, les banques contribuent activement, quoique à leur corps défendant, à faire advenir cela même qu’elles redoutent le plus, puisque leurs propres décisions de restriction du crédit, sur la foi d’une anticipation de dégradation prochaine, privent les agents des avances qui leur permettent ordinairement de relancer les productions, et mettent en panne l’ensemble des dynamiques offres-demandes – des demandes des uns qui soutiennent les offres des autres. On pourrait même, si l’on voulait, prêter aux banques une conscience lucide de cet effet pervers, elles n’en pourraient mais. C’est là un problème typique, peut-être le problème par excellence, des économies de marché, c’est-à-dire des économies où des unités productives indépendantes se déterminent sur une base privative et en dehors de toute coordination globale ex ante : nul ne choisira d’y aller seul contre une tendance d’ensemble défavorable… et par conséquent les réactions individuelles – et rationnelles – de repli face à la tendance ont pour seul effet de valider et d’amplifier la tendance.
Pour qu’une banque consente à prêter, il lui faudrait la certitude que toutes les autres prêteront avec elle et que sa propre contribution ne sera pas qu’un coup d’épée isolé dans l’eau d’une mer démontée. La caractéristique de la coordination bancaire dans ce genre de situation est donc qu’elle porte avec elle ses propres conditions de réussite : si toutes les banques prêtent simultanément, la conjoncture reçoit un puissant soutien d’ensemble et les agents solvables sont maintenus dans leur solvabilité puisqu’ils disposent des moyens de reconduire des productions viables. Mais précisément, l’économie de marché est par construction une forme économique dans laquelle la coordination fait constamment problème. Aussi toutes les banques s’apprêtent-elles à observer chacune par devers elle, les désastres globaux, y compris pour elles-mêmes individuellement, de la coordination manquante. Cette coordination, dont les agents privés livrés à eux-mêmes sont incapables, ne peut donc venir que du dehors : d’une main visible et suffisamment puissante pour prendre les commandes et imposer à tous de se régler sur une certaine ligne de conduite qui leur est mutuellement avantageuse. Or, on l’aura pressenti, il n’est pas d’autre main visible de cette sorte que celle de l’Etat.
Si, comme il est répété en boucle, mais pour une fois à très juste titre, la récession est le produit direct de la violente contraction du crédit et que, a contrario, seule une restauration des conditions antérieures du crédit permettrait d’éviter le pire qui s’annonce, alors le problème de coordination qui s’y oppose pour l’heure détermine de lui-même sa solution : synchroniser la reprise du crédit par toutes les banques, et non pas simplement par une poignée de banques aidées, sous le commandement autoritaire de l’Etat. Et comme, avec les banques, la simple prière n’est pas tout à fait suffisante, le modus operandi de la manœuvre s’en déduit : la prise des commandes par la nationalisation, accompagnée le cas échéant – probablement il écherra – de toutes les facilités de refinancement nécessaire dont les autorités étasuniennes sont en train de montrer à quelle échelle phénoménale il est possible de les déployer.
La sécurité des encaisses monétaires est un bien public vital (qu’on ne confie pas à des intérêts privés)
On fera remarquer que cet argument inscrit la nationalisation dans la particularité d’une situation conjoncturelle, par nature transitoire, et qu’il ne saurait lui donner les justifications d’une disposition permanente. Or ces justifications existent, elles sont fournies comme jamais par la crise financière elle-même. Contre la puissance des effets d’amnésie il faut en effet se souvenir de ces semaines de septembre-octobre 2008 au cours desquelles la possibilité de l’effondrement total des institutions bancaires et financières des principaux capitalismes est restée comme suspendue. Qu’un hebdomadaire aussi peu suspect de complaisances altermondialistes que The Economist titre à sa une « Le monde au bord du gouffre » devrait en dire assez long sur l’état de péril extrême où les dérèglements de la finance ont porté les sociétés. « Les sociétés » en effet et pas seulement « les économies » car la matérialisation d’un risque systémique géant signifie l’évaporation instantanée de tous les avoirs et encaisses monétaires… pour tout le monde. C’est l’événement maximal en économie et, précisément parce qu’il est maximal, il cesse ipso facto d’être exclusivement économique puisque il a pour effet de plonger toute la société dans un chaos violent au moment où la totalité des agents, entreprises mais surtout ménages, se retrouvent privés absolument des moyens de faire face aux exigences élémentaires de leur survie matérielle dans une économie monétaire à travail divisé. C’est une situation tellement exceptionnelle qu’aucun effort d’imagination n’est suffisant pour se la figurer adéquatement et pour se représenter l’état de destruction sociale qui en résulterait. À défaut, au moins a-t-elle la vertu de faire mieux voir ce que la routine des temps ordinaires rejette dans un parfait oubli, à savoir que la sûreté des encaisses n’est pas à proprement parler une donnée de nature économique : elle est un pré-requis à toute activité économique possible ; en termes savants (ou pédants) on pourrait dire qu’elle est le transcendantal de l’économie, c’est-à-dire sa condition de possibilité même.
Si donc on prend au sérieux que les dépôts, les épargnes et des possibilités minimales de crédit doivent être considérés comme des biens publics vitaux pour la société marchande, il s’en déduit qu’on n’en remet pas la garde à des intérêts privés, à plus forte raison quand ils sont aussi mal éclairés que des banques profondément engagées dans les activités de marchés financiers et sans cesse exposées à leurs tendances déséquilibrantes. Par une association d’idées bien fondée, on peut difficilement s’empêcher de songer à cet autre bien public vital pour la société qu’est la sûreté nucléaire et de ce qu’il pourrait en résulter qu’ils aient été « confiés » à des actionnaires privés, dirigés par l’unique critère de la rentabilité des capitaux propres. Et quand bien même l’évocation du risque qui découle de cette extraordinaire décision n’appelle qu’un simple conditionnel – « ce qui pourrait résulter » – c’est encore beaucoup trop quand il est question d’une question aussi grave.
Un deuxième argument de principe prolonge très naturellement le précédent – car, même à une lecture de mauvaise volonté, il devrait apparaître qu’on n’est plus là dans le registre des impulsions sanguines ou, un peu mieux, des considérations simplement conjoncturelles. C’est une idée assez robuste en effet qu’une structure vitale pour la société doit être conçue et configurée pour résister, non pas aux contraintes des temps ordinaires, mais à des événements exceptionnels. Pour filer la métaphore nucléaire, le dimensionnement de l’enceinte de confinement d’un réacteur ne retient pas pour hypothèse la chute d’un canard épuisé mais celle de l’écrasement d’un avion. Ce n’est pas que les avions aient une telle propension à aller au sol inopinément et spécialement à cet endroit où le réacteur est construit. Mais, pour si improbable que soit la réalisation de ce risque-là, c’est bien lui qui est retenu comme criterium pour cette seule raison que son occurrence entraînerait pour la société des dommages incalculables. Par conséquent, ce sont les événements extrêmes qui décident de la configuration de la structure vitale – par anticipation prudente ou par longue méditation des cuisantes expériences du passé. Or, ça tombe bien : un événement extrême, en matière de finance, nous venons d’en avoir un ! Et la solution s’est imposée d’elle-même : on a nationalisé ! Une succulente ironie historique et politique veut que ce soient des gouvernements idéologiquement libéraux qui y aient été contraints, envers et contre toutes les préventions de leurs archaïques doctrines – il va sans dire que tombe de plein droit dans cette catégorie le gouvernement britannique du faux-Labour (Fake Labour ou peut-être, pour la paronymie, Few Labour), appellation à la vérité beaucoup plus adéquate que celle aveuglément reprise du New Labour, comme si l’étiquette de la « nouveauté » comme oripeau destiné à faire passer une trahison manifeste pouvait tromper quiconque. Ainsi l’événement extrême a parlé et, par l’argument qui précède, il impose ses réquisits comme configuration, mais permanente, de la finance. Ce réquisit, c’est la nationalisation.
Des conditions de viabilité de la nationalisation
Dire cela n’est pas ignorer les exigeantes conditions de viabilité dont devrait être muni un projet de nationalisation bancaire. Car nul n’ignore en effet les dégâts que peuvent produire, au sein même du secteur public, supposément gouverné par une « autre logique », la cohabitation avec des entités privées, elles entièrement vouées à la profitabilité. Le cas du Crédit lyonnais a suffisamment montré les limites de la tutelle publique à l’époque néolibérale – il est vrai que depuis ce moment inaugural de 1984 où Laurent Fabius, premier ministre assigna aux entreprises publiques pour unique objectif de « faire du profit », la tutelle en question a perdu jusqu’au sens de sa vocation spécifique et n’a plus été capable de concevoir ni de commander quoi que ce soit qui diffère significativement des objectifs du privé, de fait reconnus comme seuls légitimes. C’est sans doute la raison pour laquelle le Lyonnais jouant à la croissance indéfinie de la part de marché et du profit – comme les « vrais » – mais adossé à la garantie publique a fini dans l’état qu’on sait. Et c’est la même raison, par parenthèses, qui permet d’affirmer dès aujourd’hui, et sans grand risque de se tromper, qu’une Poste au capital ouvert, enfin autorisée – ses dirigeants en rêvent depuis si longtemps – à « jouer à la mondialisation », qui plus est assise sur le tas d’or des livrets A, est vouée à n’avoir bientôt plus en tête que l’activité de marchés (moderne et qui rapporte) au lieu du courrier (ennuyeux et qui coûte), mais surtout à prendre date dès maintenant pour un de ces désastres où mène fatalement la létale combinaison de l’inexpérience, du ravissement des tard venus et de l’empressement de celle qui voudra au plus vite « avoir tout d’une grande ». À plus forte raison quand elle a perdu jusqu’à son identité pour avoir tout cédé aux logiques du marché, la tutelle publique n’est donc pas en soi suffisamment puissante pour contenir les dérives qui résultent de la concurrence avec le privé, et spécialement quand tout ce petit monde s’ébat joyeusement dans un univers dont les perspectives de profitabilité sont hors du commun, et partant irrésistiblement tentantes, comme c’est le cas de la finance de marché. C’est la raison pour laquelle la cohabitation des entités privées et publiques doit être limitée au maximum, argument qui plaide sinon pour une nationalisation intégrale du crédit, du moins pour un secteur public très majoritaire.
Nationalisation ou non-privatisation bancaire ?
Il est pourtant permis de se demander si l’argument central, celui qui reconnaît à la sécurité des dépôts le statut d’un bien public, ne devrait pas moins conduire à une conclusion de nationalisation qu’à une conclusion de « non-privatisation » – ce qui n’est pas exactement la même chose. Car il est vrai que la nationalisation bancaire à grande échelle se heurte à une réserve sérieuse. On pourrait même dire : à une réserve essentielle, puisqu’elle est liée au fait même que l’Etat détiendrait le contrôle direct de tous les moyens de crédit. C’est là le type même de proposition bien faite pour mettre de travers tous ceux qui considèrent que la captation du pouvoir d’émission monétaire par des agents privés est en soi un scandale et qu’un pouvoir si stratégique se devrait d’être entièrement rendu à la souveraineté populaire, c’est-à-dire domicilié en l’Etat. Il y a beaucoup de choses justes dans cet argument-là… à part son ultime conclusion – et ceci, alors même qu’elle semble devoir s’imposer sans coup férir dès lors qu’on en a admis les prémisses !
Où la question des institutions bancaires croise celle de la création monétaire
On ne peut qu’être étonné – et réjoui – de l’ampleur prise par ce débat qui a d’abord fait son chemin sur Internet à partir de la vidéo de Paul Grignon, Money as debt, mais qui reçoit un fameux coup de main de la crise financière – a-t-on jamais autant parlé qu’aujourd’hui de banques et de liquidités ?... Trop habitués à la parlotte entre initiés mais surtout persuadés de leur monopole « naturel » sur la chose économique, les économistes ne pouvaient imaginer un seul instant voir débarquer dans les cénacles bien propres de l’académie une horde de mal-élevés décidés à se saisir de la question monétaire. Mais les manants ne respectent rien et eux qui ont été si longtemps et si soigneusement tenus à l’écart des débats économiques ont décidé d’un coup que ces choses-là les concernaient aussi et qu’à défaut de se les voir expliquer ils s’en saisiraient eux-mêmes. Seul un réflexe d’ordre, hélas trop prévisible, peut avoir conduit certains économistes, nouvelle noblesse de robe, à s’être scandalisés et à avoir pris pour une insupportable intrusion dans le champ de leurs questions réservées ce qui devrait être tenu pour le plus admirable des réflexes démocratiques : le tiers-état s’intéresse. À la décharge des clercs, il faut bien reconnaître que ce débat « parallèle » sur la création monétaire a été lancé de la plus maladroite des manières et que le sens commun académique a quelques bonnes raisons de renâcler aux accents légèrement paranoïaques de la vidéo de Paul Grignon qui, sur fond de musique inquiétante, dévoile la formidable conspiration : la monnaie est créée ex nihilo par les banques… Evidemment le goût du sensationnel en prend un coup sitôt découvert que la conspiration de la création monétaire ex nihilo fait l’objet des enseignements de première année universitaire, et même des lycées, à l’occasion desquels la « révélation » a jusqu’ici provoqué peu d’évanouissements. Une bonne moitié de la vidéo-scoop de Grignon était donc déjà en vente libre et disponible dans n’importe quel manuel pour classes de Terminale SES…
Le principe symétrique du droit absolu de saisine des « amateurs », et de leur droit d’effraction dans les débats des « professionnels », devrait donc consister en un minimum de respect pour la division du travail et une obligation, non pas bien sûr d’avoir préalablement accumulé une connaissance « professionnelle », mais au moins de ne pas imaginer « tout inventer », de cultiver le doute méthodique que « la » question (n’importe laquelle) a dû être déjà travaillée, et de faire l’effort minimal « d’y aller voir avant » – manière d’éviter les boulettes du type « complot monétaire »… On pourrait cependant aussi imaginer que la position même du « savoir » devrait valoir à ceux qui l’occupent une sorte de devoir d’indulgence, pour mettre tout ça de côté. Et en venir plus rapidement aux vraies questions. Quitte à résumer grossièrement, il semble que l’objet du tumulte tourne autour des éléments suivants :
1. On croyait la création monétaire le fait de l’Etat – l’Etat n’était-il pas réputé « battre monnaie » ? – ; on découvre que c’est plutôt l’affaire des banques privées.
2. Non contente d’être privée, l’émission monétaire-bancaire s’effectue ex nihilo. Or ce qui ne coûte rien à « produire » (l’octroi de lignes de crédit) est facturé quelque chose : le taux d’intérêt. La chose n’est-elle pas profondément illégitime ? Nul ne questionne le privilège de quelques institutions privées, seules détentrices du droit de création monétaire, et encore moins les conditions réelles de leurs profits.
3. Un qui sait combien l’intérêt lui coûte, c’est l’Etat. Le service de la dette publique n’engloutit-il pas bon mal an l’équivalent des recettes de l’impôt sur le revenu ? Certes, ce ne sont pas des banques qui le lui facturent (l’Etat s’endette sur les marchés), mais – retour au point 1 – si l’Etat disposait du droit de création monétaire, il pourrait en profiter – lui, c’est-à-dire la collectivité des citoyens-contribuables – et, pour peu qu’il soit raisonnable, réserver « sa » création monétaire au financement de l’avenir, c’est-à-dire des biens d’équipement de la nation, le tout bien sûr à intérêt nul, donc avec les économies qu’on imagine.
4. Or il se trouve que les facilités monétaires que lui accordait la Banque de France ont été interdites par la loi de 1973, et que le verrouillage est devenu quasi définitif avec l’article 123 du Traité européen (Lisbonne) qui prohibe formellement toute avance de la BCE aux Etats membres.
Il faut bien reconnaître que l’idée de la création monétaire ex nihilo est suffisamment contre-intuitive et suffisamment contraire aux représentations spontanément formées par le sens commun en matière monétaire pour justifier l’effet de stupéfaction qu’entraîne presque systématiquement son énoncé. Car le sens commun se figure le banquier comme l’homme aux écus – il n’a pas totalement tort… – assis sur un tas d’or préalablement accumulé et par conséquent disponible pour être ensuite prêté. C’est là, au sens strict des termes, confondre la finance, où des détenteurs de capitaux déjà accumulés prêtent à des demandeurs de fonds, et la banque, dont l’action caractéristique est le crédit, qui procède par simple écriture et met des fonds à disposition hors de toute accumulation préalable, et sous la forme de la bien nommée monnaie scripturaire, simplement en créditant des comptes d’agent.
La voie étroite (mais praticable) entre instabilité privée et sur-émission publique
Dans La violence de la monnaie (5), Michel Aglietta et André Orléan ont montré l’importance pour tout système bancaire de réaliser un compromis institutionnalisé entre les deux modèles polaires antagonistes de la centralisation et du fractionnement.
Le modèle fractionné pur remet intégralement la création monétaire à des banques privées. Ce sont donc des monnaies scripturaires idiosyncratiques qui se trouvent émises dans cette configuration – en quelque sorte la banque A émet des « euros-A », la banque B des « euros-B », et ces différentes monnaies sont soumises en permanence à une épreuve de convertibilité de marché, à des taux évidemment fluctuants selon la qualité anticipée de leurs émetteurs respectifs : rien ne garantit a priori l’équivalence 1:1 des euros-A, B, etc. Un système bancaire fractionné pur est, par construction, d’une extraordinaire instabilité, entre autres parce que le taux de change des monnaies internes est laissé à des mécanismes de marché. Tel n’est évidemment pas le monde dans lequel nous vivons, quoique les banques y émettent de la monnaie sur la même base décentralisée, scripturaire et fiduciaire. Mais, et c’est une différence fondamentale, les banques jouissent en fait d’une sorte de délégation, ou de concession d’émission monétaire accordée par le pôle public (concrétisée par une autorisation bancaire), et, surtout, la variété des monnaies bancaires idiosyncratiques est ré-homogénéisée sous l’espèce du cours légal, c’est-à-dire de la convertibilité instituée (et non de marché) de toutes les monnaies bancaires en la monnaie « banque centrale » : 1 euro-A = 1 euro-B =… = 1 euro Banque centrale. L’institution du cours légal est adossée au circuit du refinancement bancaire par lequel les soldes interbancaires sont exclusivement réglés en monnaie centrale (la monnaie émise par la banque centrale) laquelle s’établit alors comme clé de voute du système et place toutes les émissions monétaires privées sous sa fédération homogénéisatrice. Cette emprise du pôle public sur les émetteurs privés de monnaies (monnaies certes privées à leur émission mais aussitôt « déprivatisées » par la contrainte institutionnelle du cours légal et par l’homogénéisation qui résulte de leur circulation dans le circuit interbancaire dominé par la banque centrale) est l’expression même du compromis institutionnalisé entre fractionnement et centralisation, là où un système centralisé pur ne connaitrait en définitive que le seul émetteur public de monnaie : une monobanque tout à la fois banque centrale et banque commerciale agissant au travers du réseau de ses succursales.
Certes le réseau des « agences » de la monobanque « décentralise » en quelque sorte l’émission de crédit en la branchant sur les conditions locales réelles du tissu économique dont les agences, sur place, ont la connaissance fine. Mais l’émission du crédit n’en est pas moins dans la main exclusive d’un pôle étatique unifié et, si cette propriété a pour avantage (théorique) la possibilité d’un contrôle démocratique souverain, elle a aussi pour rude inconvénient de remettre la totalité de la création monétaire à un agent – l’Etat – dont nul ne peut faire l’hypothèse qu’il l’utilisera pour le meilleur seulement.
Dire cela n’est pas affaire de stigmatisation par principe de l’Etat qui serait par essence moins vertueux ou efficace que « le privé » – il faudrait être particulièrement à la masse pour soutenir de pareilles âneries au moment où la finance privée offre le spectacle de destructions de valeur jamais vues dans toute l’histoire du capitalisme… Mais la méfiance est légitimement suscitée par la taille et la puissance, qui permettent d’anticiper l’abus, la déraison ou la démesure, et elle doit l’être tout particulièrement quand il est question d’un concentré de violence aussi explosif que la monnaie. Car la monnaie est en soi une puissance sociale, dont toutes les autres puissances de la société, grandes ou petites, privées ou publique, cherchent frénétiquement à s’emparer. La monnaie est le méta-bien, c’est-à-dire le bien particulier qui, dans la société marchande, donne accès à tous les autres biens. Elle est donc l’instrument générique du désir. Tous les désirs d’objet de la société marchande passent par elle – la littérature, le théâtre, le cinéma, les plus inspirés comme les plus médiocres, ont-ils jamais cessé de faire fonds sur ce pouvoir magnétique de l’argent-talisman ? C’est pourquoi il ne faut escompter aucune modération ni aucune régulation interne au désir d’argent, et qu’on voit mal par quel miracle l’Etat unique détenteur des moyens de la création monétaire résisterait à la tentation de devenir « émetteur pour compte propre ».
C’est la raison pour laquelle il est permis de redouter que le pôle étatique unifié du crédit cède plus souvent qu’à son tour à la tentation de substituer aux critères de la sélectivité économique qui régissent normalement les octrois de crédit, des critères de sélectivité politique avec les risques de surendettement et de mauvaises créances qui vont avec, et plus encore à la tentation d’apporter des solutions monétaires à des conflits qui n’ont pas réussi à être réglés politiquement. Il n’y a sans doute pas d’huile plus efficace à mettre dans les rouages politiques que de la monnaie – à court terme. N’importe quel trouble social ou presque doit pouvoir être éteint avec de la monnaie supplémentaire, formidable adjuvant qui dispense de tous les douloureux arbitrages auxquels sont systématiquement reconduites des finances publiques sous contrainte budgétaire. Or l’Etat est, par construction, le lieu où se totalisent la plupart des conflits sociaux et on imagine sans peine la propagation comme traînée de poudre qui résulterait d’un conflit social difficile auquel l’Etat aurait apporté une solution monétaire « pure » (6), à l’issue de quoi il deviendrait réputé que le robinet monétaire est politiquement disponible et potentiellement ouvert, et qui verrait aussitôt se précipiter tous les secteurs de la société pour obtenir par les mêmes voies des avantages équivalents. Il faut tenter de se figurer la puissance du désir de monnaie qui s’emparerait de toute la société et la ruée générale vers l’« Etat-monétaire » qui s’ensuivrait, pour se faire une idée de la violence politique et sociale qu’enferme la monnaie.
Là où le pôle fractionné pur est menacé par l’instabilité et la déflation, le pôle centralisé pur est donc, lui, exposé au risque permanent de la sur-émission, du surendettement et de l’inflation, c’est-à-dire au risque de l’Etat-puissance toujours tenté d’ajouter la puissance sociale de la monnaie à la sienne propre. Avertir du risque d’abus monétaire d’Etat n’est nier ni que les allocations monétaires du privé peuvent être fameusement aberrantes, ni qu’il soit possible d’imaginer en principe une politique de crédit public éclairée et justifiée par le financement de besoins sociaux. Ainsi, par exemple, la sélectivité politique, à laquelle il a été fait référence, n’est pas en soi un critère illégitime de l’orientation des crédits – il est très possible par exemple d’envisager de soutenir en crédits des entités chroniquement déficitaires du fait, par exemple, de sujétions de service public, là où bien sûr aucun prêteur privé ne s’engagerait. Mais c’est que la sélectivité politique devienne l’unique critère, et qu’elle prenne le pas systématiquement sur la sélectivité économique qui présente un risque : celui, microéconomique, de l’émission de crédits qui ne seront pas remboursés, et celui, macroéconomique, de la surémission inflationniste. Or les occupants de l’Etat poursuivent des objectifs avant tout politiques, et notamment ceux de leur pérennité au pouvoir, objectifs qui menacent de se subordonner tous les moyens disponibles, y compris les moyens monétaires. Aussi, quitte à insister un peu lourdement, il faut redire que la monnaie n’est pas un pur instrument en attente de ses usages rationnels et qu’il n’y a sans doute pas pire erreur que de prendre sur elle le point de vue étroitement techniciste de « l’ingénieur » : la monnaie est du concentré de désir, et c’est à l’aune de cette charge de violence et de démesure, telle qu’elle en fait un objet quasi-anthropologique, qu’il faut en envisager le maniement et les formes d’institutionnalisation. La grande leçon de La violence de la monnaie, c’était qu’en matière monétaire les modèles polaires purs sont dangereux et qu’il n’y a pas d’autre voie que celle du compromis institutionnalisé entre les principes antagonistes du fractionnement et de la centralisation, de l’Etat instance de la volonté souveraine et de l’Etat abuseur monétaire potentiel, etc.
Les structures d’un système socialisé du crédit
Reste que, des compromis institutionnalisés, il peut s’en concevoir de nombreux et de fort différents. Celui dans lequel de fait nous nous trouvons a largement fait la démonstration de ses tares à l’occasion de la crise financière : les concessionnaires privés de l’émission monétaire n’ont eu de cesse de sur-émettre du crédit en direction des opérateurs de la finance de marché, nourrissant la plus extravagante crise de mauvaises dettes qu’on ait jamais vue. Pour autant, la nationalisation à grande échelle d’urgence ne devrait être qu’une étape de transition et à terme muter vers une réorganisation complète des structures monétaires et bancaires, restaurant le compromis centralisation-fractionnement, mais évidemment sous des formes qui ne reconstituent pas le système antérieur, c’est-à-dire sous des formes qui refractionnent le système bancaire mais en redéfinissant radicalement le statut des concessionnaires.
« Refractionner », c’est, à l’encontre de l’unification publique du système du crédit, reconnaître le principe même de la délégation-concession de l’émission monétaire et, plus encore, maintenir l’autonomie opérationnelle des concessionnaires. Mais le point important, appelé à faire véritablement rupture, réside dans la redéfinition de leur statut, et consiste notamment à placer explicitement la concession sous un principe de service public, comme il convient si l’on prend au sérieux l’idée – directrice – que les dépôts et les épargnes sont des biens publics vitaux pour la société. Aussi cette redéfinition statutaire pourrait-elle s’effectuer selon l’esquisse de cahier des charges suivant :
1. Les concessionnaires de l’émission monétaire ne sauraient être des sociétés privées par actions.
2. Ni entités actionnariales privées, ni entités publiques sous le contrôle direct de l’Etat, les concessionnaires devraient être des organisations sinon non-profitables, du moins à profitabilité encadrée, c’est-à-dire limitée. L’occasion est donnée de répondre aux préoccupations de ceux qui partant de l’idée de création monétaire ex nihilo en déduisent l’illégitimité de principe de l’intérêt. Il faut reconnaître que la remarque ne peut pas laisser indifférent… Si la « production du service bancaire », à savoir l’émission du crédit, ne coûte rien, puisqu’elle ne nécessite aucune accumulation de fonds préalable, il est vrai que le fait qu’elle soit consentie à titre onéreux a du mal à passer. La réalité est cependant un peu différente du schéma théorique pur. En premier lieu, les institutions bancaires ont à couvrir des coûts de structure. Ensuite, et surtout, quoique procédant en principe à des émissions ex nihilo, les banques ne sont pas pour autant dégagées de toute nécessité de financement. Une part des crédits est adossée à des accumulations préalables. Mais surtout, le règlement des soldes interbancaires s’effectue en monnaie centrale et celle-ci n’est fournie… qu’aux guichets de la banque centrale, et moyennant intérêt – le taux directeur. On pourrait cependant tirer la synthèse de tous ces éléments et considérer que, oui, la modalité « ex nihilo » rend abusive la facturation aux clients des banques d’un intérêt sur la totalité des encours de crédit mais, non, il n’est guère imaginable que ces crédits soient alloués à taux nul puisque les banques ont des coûts à couvrir, et notamment des coûts variés de refinancement. En conséquence, le prix du crédit pourrait être formé sur la base du taux directeur de la banque centrale (7) mais au prorata de la part des encours effectivement refinancée – plus un petit quelque chose pour couvrir les coûts de structure et fournir une marge modérée permettant de financer des investissements de développement matériel et technique.
L’intérêt coût du crédit… et régulateur de l’émission monétaire
L’erreur, cependant, des « critiques de l’intérêt » consiste à ne le regarder que comme un simple prix, dont la légitimité reposerait en dernière analyse sur la réalité des coûts effectivement consentis par les offreurs de crédit. C’est oublier que, via les taux directeurs de la banque centrale, l’intérêt est aussi, et en fait surtout, non pas le seul terme de l’échange entre un offreur et un demandeur privés, mais l’instrument général du contrôle de l’offre et de la demande de monnaie. Il faudrait d’ailleurs dire les choses dans un registre moins « technique » et plus anthropologique : l’intérêt est l’instrument de la contention externe de l’insatiable désir d’argent. Quand bien même par un miracle institutionnel et technologique, les banques seraient en mesure de fournir du crédit à prix rigoureusement nul, il faudrait conserver la possibilité – artificielle – de le facturer aux clients à titre onéreux et pour la raison suivante : la simple contrainte de remboursement du principal peut ne pas suffire à réguler d’elle-même la demande de moyens de paiements « excédentaires » – « excédentaires » par rapport à quoi ? par rapport à ceux qui sont fournis par le revenu courant, car tel est bien l’effet, et même la finalité du crédit : détendre momentanément la contrainte budgétaire des agents et leur permettre de dépenser plus qu’ils ne gagnent. C’est bien parce qu’il permet ainsi de « franchir les limites » que le crédit est un objet de désir explosif. Ne pas se donner les moyens de le contrôler, c’est s’exposer en quelque sorte à « l’excès des moyens de paiement excédentaires » : excès macroéconomique de la demande ainsi solvabilisée par rapport aux capacités de production, ou excès microéconomiques, éventuellement généralisés, d’emprunteurs surchargés de dette et dont la solvabilité est vulnérable à un retournement conjoncturel. C’est pourquoi la politique monétaire doit impérativement conserver les instruments lui permettant le cas échéant de décourager des demandes de crédit qui ne le seraient pas suffisamment du seul fait de la contrainte de remboursement du principal ; et ceci ne peut être fait qu’en y ajoutant, fût-ce artificiellement, la surcharge réglable de l’intérêt. Ne voir l’intérêt qu’au prisme du « juste (ou de l’injuste) prix », c’est donc passer à côté de l’essentiel en matière monétaire, et notamment ignorer combien la monnaie n’est pas une marchandise comme les autres (8), dont le prix n’aurait qu’à refléter la réalité des structures de coûts. Et c’est méconnaître la nature profonde de la monnaie qui est d’être un concentré de désir – et partant de violence.
Le contrôle du crédit par les parties prenantes
Aussi faut-il déconnecter les problématiques de l’intérêt-prix et de l’intérêt-régulateur… mais sans oublier cependant que le profit bancaire demeure en soi un enjeu de première importance, comme l’attestent les désastres où viennent de conduire sa poursuite effrénée dans l’univers mirobolant des marchés, ni renoncer à tirer la conclusion qui s’en suit logiquement : les entités dépositaires de ce bien public que sont les avoirs monétaires des agents ne doivent pas être laissées libres de s’adonner sans réserves aux tentations du profit financier, et s’il apparaît que ces tentations sont en soient irrésistibles – comment pourraient-elles ne pas l’être dans l’univers capitaliste dont la finalité même est l’accroissement indéfini du profit ? – il convient d’emblée de leur couper les ailes. En cette matière la première mesure conservatoire consiste à leur refuser le statut d’entités privées actionnariales – dont la vocation, on pourrait même dire l’essence, est la recherche du profit – et à placer les futures entités bancaires sous une contrainte réglementaire de profitabilité encadrée, c’est-à-dire limitée – à tout prendre il n’y a guère meilleure régulation d’incitations qu’on sait éminemment dangereuses qu’un obstacle « en dur ».
3. Existe-t-il alors dans le répertoire des formes juridiques disponibles de quoi habiller adéquatement ce genre d’entité ? Si ça n’est pas le cas, rien n’interdit de faire preuve d’un peu de créativité pour inventer un statut intermédiaire entre les sociétés de capitaux et les établissements publics, et qui ne soit ni de simple association, ni d’ONG, mais un statut sui generis. Quel serait le but de ce statut ad hoc, et en particulier pourquoi refuser de piocher dans le sous-répertoire des établissements publics ? La réponse, on l’a compris, tourne autour de l’idée d’un contrôle public mais qui ne serait pas directement étatique, un contrôle public d’une autre nature, lato sensu pour ainsi dire. Tel est le troisième point de cette esquisse de cahier des charges qui envisage pour les banques un contrôle public local par les parties prenantes : salariés, entreprises, associations, collectivités locales, représentants locaux de l’Etat, etc. Par un argument tout à fait semblable à celui qui s’est appliqué à l’instant au pôle bancaire public unifié, il ne saurait être question que les intéressés au crédit aient directement la main sur le crédit c’est-à-dire, en l’occurrence, que les parties prenantes siègent directement dans les comités d’engagement. Leur place est dans des instances plus distantes et moins opérationnelles – comités de suivi et d’orientation – mais à toutes les échelles, du niveau local (départemental par exemple, ou tout autre circonscription qui fasse sens du point de vue de l’activité économique) jusqu’au niveau « groupe ».
Tout ceci n’est pas sans faire penser au modèle bancaire mutualiste, mais avec tout de même de sensibles différences et, surtout, avant son formidable dévoiement par les logiques de la finance de marché. Il n’en demeure pas moins que : 1) la multiplicité et l’autonomie opérationnelle des concessionnaires de l’émission monétaire ; 2) la soustraction aussi bien au secteur privé profitable qu’au contrôle étatique direct, au profit d’une nouvelle forme de service public (bancaire) ; et 3) le contrôle public local par les parties prenantes mais moyennant des médiations institutionnelles suffisamment allongées sont les caractéristiques centrales qui définissent, non plus un pôle public unifié du crédit, mais ce qui pourrait être appelé un système socialisé du crédit.
La question de la solvabilité : quels fonds propres pour un système socialisé du crédit ?
La soustraction au secteur privé conduit inévitablement à poser la question des fonds propres. Bien sûr ces banques pourraient émettre de la dette de long terme mais – par construction – pas des actions. L’Etat, par ses finances publiques, auraient-il les moyens d’être l’unique fournisseur de ressources permanentes pour la totalité du secteur bancaire socialisé ? – sachant que, à supposer que ce puisse être le cas, ce statut d’unique apporteur de fonds propres ne lui donnerait, là encore par construction juridique, aucune hégémonie décisionnelle : nous sommes ici dans un monde où les rapports de pouvoir économiques – les rapports de « gouvernance » si l’on veut – sont reconstruits sur des bases entièrement nouvelles et, plus précisément, sur des bases entièrement politiques, c’est-à-dire complètement désindexées des rapports économiques, et notamment des rapports de participation financière. Le capitalisme actionnarial a fini par imposer comme une évidence indépassable que la voix au chapitre était indissolublement liée à la propriété financière et à la participation au capital. On serait presque tenté d’admirer la performance qui a consisté à rendre impensable que la distribution du pouvoir au sein des entités économiques puisse s’effectuer autrement, et à effacer des esprits cette idée pourtant élémentaire que l’organisation des rapports des hommes entre eux est, par définition, une question proprement politique et qu’elle ne perd rien de cette qualité y compris dans l’univers économique. Si donc on sait reconnaître, comme il doit l’être, le caractère authentiquement politique des rapports de pouvoir, fussent-ils économiques, il apparaît que la médiation de la propriété financière en opère une distorsion que rien ne fonde véritablement, avec pour seul effet, on s’en doute, de substituer au principe « un homme une voix » le principe « une action une voix », c’est-à-dire de réinstituer le suffrage censitaire en proportionnant la capacité politique des agents à leur capacité patrimoniale. C’est d’ailleurs bien cette pleine repolitisation de rapports qui n’auraient jamais dû être dépolitisés par les logiques capitalistiques, que le système socialisé du crédit vise à produire au travers de ses formes institutionnelles propres – et qui interdit absolument que l’apporteur de fonds propres revendique la moindre contrepartie de pouvoir à ce seul motif.
Il reste que, même renonçant à faire du pouvoir le corrélat de ses apports, l’Etat verrait les finances publiques rudement sollicitées d’avoir à fournir en fonds propres la totalité du système bancaire socialisé, particulièrement si la transition est brutale. Est-ce à dire que la question de la solvabilité bancaire reste sans solution dans ces conditions ? Non car l’Etat a toujours la ressource d’un apport substitutif, d’une nature autre que des fonds propres « directs », à savoir l’apport de sa garantie. Au demeurant, rien n’interdit de considérer que la garantie que l’Etat apporterait aux banques à l’intention de tous leurs créanciers n’est pas autre chose qu’un apport latent de fonds propres mais non tirés. Plus précisément encore, la garantie de l’Etat fonctionne de fait comme une réserve potentielle de fonds propres non tirés mais à tirage certain en cas de besoin. Cet apport de fonds propres « contingents » – mais à tirage certain en cas de matérialisation de l’élément de contingence, c’est-à-dire d’« événement de solvabilité » – a exactement les mêmes effets qu’un apport ferme de fonds propres ex ante… mais avec de remarquables propriétés d’économie pour les finances publiques.
Est-il cependant raisonnable d’adosser ainsi la totalité du secteur bancaire à la garantie de l’Etat ? Oui à partir du moment où ces banques sociales opèrent sur les bases qui viennent d’être indiquées, à savoir des banques, d’abord tenues à distance d’un univers de marchés qu’il faudra avoir sérieusement cadenassé (9), mais surtout tenues à un cadre réglementaire de profitabilité limitée. Seule cette force du plafonnement réglementaire du profit peut s’opposer avec quelque chance de succès aux forces autrement irrésistibles de la concurrence-cupide, c’est-à-dire de l’élan en vue d’un profit indéfiniment plus élevé. Et, de fait, la question de la solvabilité, ou plutôt de l’insolvabilité des banques ne se pose jamais que dans les cas polaires opposés de la poursuite actionnariale-privée du profit jusqu’à l’aveuglement et au prix de risques hors de toute maîtrise… ou bien de la commande directe de l’Etat qui impose à des banques publiques de procéder à des surplus d’émission monétaire incompatibles avec les contraintes générales de l’économie ou bien avec la situation particulière de quelques bénéficiaires, au risque de l’inflation ou du surendettement local ou global. Mais la structure même du système socialisé du crédit le rend immune à ces deux dérives et a donc pour effet de maintenir la probabilité d’occurrence des « événements de solvabilité » à des niveaux aussi bas que possible.
Si cette configuration du système bancaire est, toutes choses égales par ailleurs, plus à l’abri qu’une autre de la folie des grandeurs, n’est-elle pas à l’inverse exposé au risque symétrique d’une attrition du crédit du fait de la disparition des incitations de la concurrence et du profit ? Là encore, il semble que le risque soit limité par les structures politiques mêmes du système socialisé du crédit dès lors qu’elles donnent toute leur part aux parties prenantes, directement intéressées au maintien à bon niveau des flux de financement bancaires… et dès lors que leur influence s’exerce dans des formes institutionnelles qui réalisent un bon équilibre des pouvoirs et ne leur accordent ni rien… ni tout !
Post-scriptum : Les animateurs du débat sur la création monétaire auront quelques raisons de n’être pas satisfaits de cette « réponse » qui a laissé de côté bon nombre de leurs interrogations et notamment, pour partie, celle des prérogatives de l’Etat en matière de création monétaire. Pour partie seulement puisque ce texte a longuement souligné les risques d’un pôle public unifié du crédit. Pour autant, il n’est pas revenu sur la question de la politique monétaire et des modalités du financement des déficits publics – mais c’est qu’on ne peut parler de tout en une fois et que ce texte est déjà assez long comme ça… Pour toutefois ne pas laisser traîner d’inutiles ambiguïtés il n’est peut-être pas inutile de faire immédiatement une ou deux mises au point. La plus urgente et la plus catégorique est sans doute celle qui concerne le statut d’indépendance de la banque centrale en général, et de la BCE en particulier. À ce propos il est possible – pour une fois… – de dire les choses assez simplement : la banque centrale est l’instance de la politique monétaire et, dans « politique monétaire », il y a « politique » qui veut dire politique ! Que les orientations générales de l’offre de monnaie soient soustraites aux institutions de la politique représentative est un état de fait que rien, strictement rien, ne parviendra jamais à justifier en principe. À ce compte-là pourquoi ne pas envisager de démembrer complètement l’Etat instance des politiques publiques et remettre chacune d’elles à une agence indépendante propre confiée à des experts non élus ? Qu’on ne s’y trompe pas : il en est à qui l’énormité de la proposition ne donne pas un battement de cil, au contraire y voient-ils un modèle de l’action publique tout à fait désirable. Même un lecteur un peu distrait aura compris que telle n’est pas la position, défendue dans ce texte… On ne devrait pas voir à dire ce genre de trivialité et pourtant il le faut : la pleine repolitisation de la politique monétaire est un enjeu de première importance que ne saurait minimiser aucune des « raisons », ou plutôt des causes, très bien identifiables, ayant conduit à l’indépendance de la banque centrale.
Reste la question de savoir dans quelles conditions les dépenses publiques pourraient bénéficier d’une facilité de financement monétaire. Les lignes qui précèdent ont assez mentionné les dangers d’une création monétaire qui serait laissée à la discrétion de l’Etat hors de tout contrôle. Pourtant, force est, inversement, de reconnaître qu’il est des situations où cette possibilité d’une création monétaire publique est macroéconomiquement très bien fondée. L’argument du financement des « dépenses d’avenir » ou des besoins sociaux fait évidemment partie du dossier mais sans être à soi seul décisif. La circonscription des « dépenses d’avenir » peut faire problème. Stricto sensu, rien par exemple, n’interdirait d’y verser les dépenses d’éducation nationale – le premier poste budgétaire en France. Or on comprend aisément qu’il est difficilement envisageable de se donner un financement monétaire du quart du budget de l’Etat… Mais ce sont surtout les conditions macroéconomiques générales qui commandent. Quelque fondée que soit une certaine dépense publique, son financement monétaire admet pour condition nécessaire que les capacités de production existent pour y faire face sauf à laisser se creuser le déficit extérieur ou voir déraper l’inflation. Il n’est pas question d’entrer ici dans une discussion de macroéconomie des politiques budgétaire et monétaire mais simplement de suggérer que restent à inventer les formes institutionnelles réalisant le « bon » compromis entre reconnaître des cas bien fondés de financement monétaire des déficits publics sans pour autant laisser l’Etat seul en position d’en juger discrétionnairement. Il en va donc de la politique monétaire comme de l’organisation du système socialisé du crédit : tout est affaire de montage institutionnel et de médiations convenablement agencées, c’est-à-dire réalisant un bon équilibre entre tendances antagonistes dont la présence est également nécessaire. Mais ceci ne dit pas grand-chose sur la forme précise que ces médiations pourraient prendre concrètement… C’est dire que le débat n’est pas près d’être épuisé.