En kiosques : avril 2024
Abonnement Faire un don
Accéder au menu

Pour un nouveau paradigme de la gestion de l’eau

A quelques semaines du 5ème Forum mondial de l’eau qui se tiendra à Istanbul du 16 au 22 mars 2009, sur fond d’inquiétude croissante sur la disponibilité et l’accès à cette ressource précieuse entre toutes, Carnets d’eau publie une réflexion exceptionnelle. Son auteur, Anne Spiteri, polytechnicienne, a longtemps travaillé dans le domaine de l’eau. Son expérience l’a conduite à remettre radicalement en cause les « fondamentaux » de la gestion de l’eau, élaborés dans les pays occidentaux depuis le XIXème siècle. Elle appelle à ne pas reproduire dans les pays du Sud ce qu’elle décrit comme une véritable impasse, environnementale, économique et sociale. Cette analyse devrait susciter un large débat. Légitime, car cette réflexion croise celles qui se développent aujourd’hui dans nombre de pays du Sud, très loin de la doxa de « L’Ecole française de l’eau »... Conjointement, des chercheurs canadiens remettent pour leur part radicalement en cause le modèle dominant de tarification de l’eau et les « compteurs d’eau » sur lesquels il repose.

par Marc Laimé, 20 janvier 2009

« Pour un nouveau paradigme » (résumé)

« Les systèmes occidentaux d’alimentation en eau potable et d’assainissement des eaux usées domestiques ne sont pas durables. Ils constituent une véritable ineptie sur les plans technique, énergétique et écologique. Ils ont, excepté pour les nappes exploitées presque entièrement pour l’irrigation, des impacts qualitatifs et quantitatifs sur la ressource en eau au moins aussi forts, sinon plus, que l’agriculture intensive.

Malgré un avenir de fuite en avant technologique, énergétique et financière, que ce soit au niveau des techniques de traitement que de l’exploitation des eaux salées, ils n’offrent pas de garantie de protection de la ressource en eau ni de sécurité sanitaire.

De plus, ils entreraient en dysfonctionnement grave si une grande partie de la population restreignait vraiment sa consommation d’eau. On ne devrait pas les exporter dans les pays pauvres du Sud. Il est grand temps de les repenser complètement dans une approche interdisciplinaire et intersectorielle et à la lumière des connaissances scientifiques les plus pointues sur l’eau et l’environnement.

Tout le modèle occidental repose sur deux piliers : la “chasse d’eau” et “l’eau potable au robinet”. Ces inventions du siècle dernier s’avèrent finalement stupides et irresponsables. Ce sont des leurres qui nous ont conduits dans des impasses écologiques et on s’y cramponne encore et toujours, sans jamais remettre en cause leur bien-fondé.

Or au moins un nouveau paradigme, un modèle réellement durable existe, et il n’est sans doute pas le seul.

Il est basé sur deux principes : traiter la pollution à la source et arrêter de gâcher les eaux souterraines profondes.

Il repose sur deux piliers : la “toilette sans eau” et “l’eau hygiénique au robinet”.

Il est adapté à nos pays et aux pays du Sud, même et surtout avec la perspective du changement climatique. Il est entièrement respectueux de la ressource, des équilibres écologiques et de l’homme. Il prend en effet en compte :

 les contraintes environnementales, dont la protection des milieux aquatiques et la valorisation agricole et énergétique des boues ;
 les contraintes techniques, dont la réutilisation de l’infrastructure existante en l’état ;
 et les contraintes humaines et financières, dont l’hygiène, la qualité de la vie, les coûts réduits et un accès décent à l’eau et à l’assainissement possible pour tous.

Il permet de préserver les ressources profondes ou rares pour les générations futures et de laisser plus d’eau disponible pour le soutien des étiages et pour l’agriculture.

Il redonne à l’eau son rôle originel de lien social profond et devrait contribuer à établir la paix dans le monde, car l’or bleu va être de plus en plus à l’origine de conflits entre les pays.

Il faut se donner les moyens d’explorer ce nouveau paradigme. Cela demande :

 de la volonté et de l’indépendance politique ;
 un site expérimental ;
 des entreprises motivées prêtes à s’investir dans l’innovation technologique ;
 et des fonds internationaux.

Et cela demande surtout, selon les mots d’Aimé Césaire : “La force d’inventer au lieu de suivre ; la force d’inventer notre route et de la débarrasser des formes toutes faites, des formes pétrifiées qui l’obstruent”. »

Un nouveau paradigme - Anne Spiteri

Les compteurs d’eau : une fausse bonne idée ?

Au rayon des idées reçues, examinons aussi la notion du « vrai » prix de l’eau, et des incitations croissantes à l’économiser. Le tout passant par l’instauration d’une tarification, et accessoirement la pose de compteurs...

La proposition paraîtra choquante à l’heure où tout nous enjoint de réaliser des « économies d’eau », et pourtant...

Figure des Verts bretons, Gérard Borvon, engagé de longue date dans les combats pour la gestion équitable et soutenable de l’eau, relayait le 12 janvier dernier une analyse percutante venue du Québec :

« Certains croient que tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si les usagers payaient directement le vrai prix de l’eau. Selon une logique économique naïve, on consommerait inconsidérément ce qui est gratuit et le fait de payer conduirait à un ajustement rationnel des quantités consommées. En réalité ce raisonnement est vrai seulement pour les gros consommateurs industriels ; il est tout à fait faux, et même pernicieux, lorsqu’on l’applique aux consommateurs résidentiels.

Le propos sert d’introduction à une étude réalisée par Pierre J. Hamel, du groupe de recherche “Urbanisation, culture et société”, de l’Institut National de la Recherche Scientifique de l’Université du Québec.

C’est exactement l’argumentation développée par l’association québécoise “Eau Secours” qui a reçu une délégation de l’association bretonne S-eau-S en février 2008. »

Marc Laimé

Partager cet article