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Mission impossible ?

La France en guerre contre le terrorisme d’opportunité

On a dû se régaler, dans les succursales francophones de l’Organisation de l’État islamique (OEI), en Syrie ou ailleurs, en voyant gonfler les polémiques après l’embardée du camion fou sur la Promenade des Anglais, à Nice, un 14-Juillet, comme après l’égorgement d’un prêtre catholique pendant sa messe, dans l’église de Saint-Etienne du Rouvray, le 26. Des attentats qui sèment la terreur en jouant des symboles, marques habituelles de l’organisation ; et qu’il lui suffit souvent de revendiquer après avoir ciblé la France comme ennemie numéro un, sans avoir toujours à les mener elle-même, en vertu d’un providentiel « terrorisme d’opportunité ».

par Philippe Leymarie, 29 juillet 2016
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Passage en revue des troupes et des gardes nationales, au Grand-Camp, à Lyon
Croquis de M. Darjou - Second Empire (1852-1870) / BnF

L’enchaînement de ces drames, en France — mais aussi ces derniers jours en Allemagne, sortie brusquement de « l’innocence » — a pour effet de relancer une série de débats, dont certains insolubles, et d’autres purs objets de vindictes politiciennes, en ces temps de pré-campagne électorale : les dirigeants sont-ils à la hauteur ? Les moyens sont-ils adaptés ? À qui la faute ? Les budgets sont-ils suffisants ? Est-ce la guerre ? Jusqu’où faut-il la faire ? Ici, ou là-bas ? L’ennemi est-il nommé, ou innommable ? etc.

Ainsi des mesures de protection de la population, des rassemblements, des lieux sensibles. Pour ce qui est de l’église de Saint-Etienne du Rouvray, le débat a été vite clos : s’il fallait surveiller en permanence les cinq ou six mille lieux de culte catholique actifs en France (sur une bonne quarantaine de milliers d’églises), et même ceux où — comme c’était le cas — la messe matinale ne rassemble que quelques individus, il y faudrait toute une police ou toute une armée nouvelle.

Garde dynamique

Sébastien Pietrasanta, député socialiste rapporteur d’une commission d’enquête sur les attentats de 2015 (voir ci-dessous), précise que 11 719 sites sont actuellement surveillés en France, dont une majorité de manière « dynamique » (et non plus statique, 24 heures sur 24). Plus d’un quart, soit 3 068 sites, sont religieux : 1 227 sites chrétiens, 1 047 musulmans et 794 juifs. Lors de son audition devant la commission d’enquête, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a estimé que, « s’il fallait par exemple organiser une garde statique devant les 77 000 établissements scolaires que compte la France », il faudrait 220 000 policiers, soit « la quasi-totalité des effectifs » de police et de gendarmerie. Le même raisonnement aurait pu s’appliquer aux lieux de culte.

Le dispositif militaire de renfort baptisé Sentinelle, actuellement en vigueur, avait justement été déployé dans le but de surveiller notamment les lieux de culte israélites, dans la foulée des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de janvier 2015 : il mobilise 7 000 à 10 000 soldats, selon les périodes, en complément des effectifs de police et de gendarmerie, et reste discuté sur le plan technique (lire « Soldats sur le théâtre national »), comme l’est depuis son origine le dispositif Vigipirate, dont il est issu (1).

A la hauteur

Pour ce qui est du camion fauchant la foule niçoise sur la Promenade des Anglais un soir de fête nationale, ce n’est pas trop la question des effectifs qui est en cause. Cette ville traditionnellement de droite, et de forte tradition sécuritaire, dispose de la première police municipale de France (près de 400 agents) — l’une des premières à avoir été armée — et s’appuie en outre sur un équipement-record de 1 250 caméras de surveillance.

Ce soir-là, une centaine de policiers, municipaux et nationaux, étaient déployés sur la Promenade et ses alentours — même si une polémique a opposé M. Cazeneuve à la shérif locale, Mme Sandra Bertin, chef du Centre de supervision urbain (CSU) (2), à propos de la répartition, du positionnement et du rôle respectif de ces personnels : une querelle visant à faire porter si possible à l’exécutif national plutôt qu’au maire (ou à l’ex-maire, Christian Estrosi, devenu premier adjoint chargé précisément de la… sécurité) le chapeau de la responsabilité au moins technique, sinon politique du drame. L’inspection générale des polices, remettant mercredi 28 juillet le rapport demandé à ce sujet par son ministre, conclut en tout cas que le dispositif déployé pour l’occasion « n’était pas sous-dimensionné ».

Cette polémique — qui a permis à chacun dans les partis de s’ériger en pseudo-spécialiste de la sécurité, dissertant sur les effectifs et leur positionnement, regrettant l’absence de plots ou de herses à l’entrée de la Promenade des Anglais, quand ce n’était pas de bazookas ou de blindés — a fini par exaspérer l’opinion, si on en croit un sondage Odoxa pour France Info et Le Parisien publié mardi 26 juillet : pour huit Français sur dix, la classe politique n’aurait été ni « digne » ni « à la hauteur des événements ».

« Arguties juridiques »

A sa manière, l’exécution du vieux prêtre de Saint-Etienne du Rouvray a donné la triste occasion d’un retour aux fondamentaux, dans un climat qui aura été moins polémique, au moins le premier jour : l’ensemble de la classe politique, dénonçant la « barbarie », a assuré « faire bloc » dans ce qui serait bien une « guerre ». Mais chacun restant sur son positionnement habituel : la droite réclame des mesures exceptionnelles de répression et de sécurisation (même si, en l’état, certaines paraissent contraires à la Constitution) ; la gauche conjugue résolutions de fermeté avec appels au respect de l’État de droit, cherchant à ne pas être menée — d’attentat en attentat — vers un dispositif semblable à celui que le président G. W. Bush avait mis en place aux États-Unis dans la foulée des attaques du 11-Septembre (arrestations préventives, détentions façon Guantanamo, etc.) (3).

Déjà, à la suite du massacre de Nice, l’opposition avait — par la voix de Nicolas Sarkozy notamment (4) — préconisé :
 l’ouverture de centres de déradicalisation ;
 la « mise à la porte » des personnes fichées « S » d’origine étrangère ;
 l’équipement des fichés « S » présentant des risques de radicalisation avec des bracelets électroniques, ou leur placement en centre de rétention ;
 la fermeture de lieux de culte propageant l’idéologie salafiste, et l’expulsion de leurs imams, etc.

Lire aussi Solenne Jouanneau, « Imams en France, loin des clichés », Le Monde diplomatique, avril 2016.

Le 26 juillet, quelques heures après l’égorgement du prêtre, le président du parti Les Républicains, candidat plus que probable à l’élection présidentielle, avait enfoncé le clou : « Nous devons être impitoyables. Les arguties juridiques, les précautions, les prétextes à une action incomplète ne sont pas admissibles », selon l’ancien chef de l’État, qui a mis son successeur en demeure « d’appliquer, sans délai, toutes les propositions présentées [par la droite] depuis des mois », et de « changer profondément la dimension, la mesure, la stratégie de notre riposte. »

Funeste réforme

Accusé plus ou moins frontalement d’être responsable du désastre de Nice, pour ne pas avoir tiré suffisamment les leçons des attentats de 2015, et d’avoir fait preuve d’une « supposée désinvolture », le ministre de l’intérieur a dû défendre son bilan, citant notamment, outre le vote de trois lois spécialisées et la création de 9 000 postes dans la police et le renseignement (5) :
 la reconstruction du renseignement intérieur, avec une augmentation des effectifs et moyens de la nouvelle Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), après la « funeste réforme des renseignements de 2008 » (6) ;
 la création de l’État-major opérationnel de prévention du terrorisme (7) ;
 l’ouverture d’un fichier de signalement des personnes radicalisées à caractère terroriste, permettant un meilleur suivi des individus concernés ;
 l’établissement d’un nouveau schéma national d’intervention des forces spécialisées, qui met un module d’intervention à vingt minutes maximum de sa cible, et donne le rôle « menant » à l’unité primo-arrivante, quelle qu’elle soit (8) ;
 la montée en puissance de l’armement et la modernisation du matériel des primo-intervenants qui sont très souvent, à l’échelle des départements, les brigades anti-criminalité (BAC) ou les pelotons de surveillance et intervention de la gendarmerie (PSIG).

Guerre des polices

A la recherche des éventuelles failles et dysfonctionnements qui auraient rendu possibles les tragédies de ces derniers mois, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur « les moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme », présidée par l’ancien magistrat George Fenech (LR), a fait le bilan d’une année 2015 ayant connu « le nombre de victimes le plus élevé sur notre sol depuis la fin de la seconde guerre mondiale » — bilan auquel se sont ajoutés en 2016 les victimes de Nice et de plusieurs assassinats.

La commission a pointé notamment les « ratés de la surveillance » des fichés « S », dont plusieurs ont été mêlés aux divers attentats de ces derniers mois, et la relative impuissance du système judiciaire ; ou l’éparpillement de la collecte de renseignements entre neuf services (DGSI, DGSE, SCRT, SDAO, DRM DPSD, DRPP, DNRED, TRACFIN) disposant chacun de son propre fichier ; ou encore la complexité du dispositif coordonnateur — l’UCLAT, au niveau de la police ; l’EMOPT, rattaché au ministre de l’intérieur ; et le Coordonnateur national, basé à l’Elysée — un mille-feuille générateur de doublons, adossé à des pré-carrés culturels, administratifs ou territoriaux, avec des dissensions entre les diverses polices, entre police et gendarmerie, etc. De ce point de vue, remarque la commission, la traditionnelle « guerre des polices » est loin de s’être éteinte…

La barre très haut

Georges Fenech, président d’une commission créée sous la pression de son parti (Les Républicains), au lendemain de l’attentat du Bataclan, reconnaît avoir « mis la barre très haut » , avec ses quarante propositions, soit essentiellement :
 la refonte des services de renseignement, « qui ont des cultures remontant aux brigades du Tigre ! » (9) ;
 la mise en place d’un véritable « directeur national du renseignement », qui organise le partage d’informations, analyse le niveau de la menace, et mène une stratégie globale de contre-terrorisme ;
 la création d’une Agence nationale de lutte contre le terrorisme, directement rattachée au chef de l’État, sur le modèle américain ;
 la montée en puissance du renseignement pénitentiaire, la prison restant un foyer privilégié de la radicalisation (10) ;
 le renforcement de la coordination au niveau européen, encore balbutiante (Europol, Centre européen de la lutte contre le terrorisme) ;
 l’interrogation sur « le bien-fondé du maintien de plusieurs forces d’intervention spécialisée », ou à tout le moins le projet de création d’un commandement unifié.

Au bout du bout

Persuadé que « sous prétexte d’unité nationale, on esquive les vraies questions », Fenech se dit favorable — à titre personnel — à un « Guantanamo à la française » pour les combattants djihadistes DE retour d’Irak et de Syrie. Il affirme, dans un entretien publié par Le Point, « qu’on ne lutte pas contre le terrorisme en faisant du flagrant délit ». Et que le gouvernement, en sortant après chaque attentat les mêmes réponses que le 16 novembre devant le Congrès — « état d’urgence », « force Sentinelle », « accélération des frappes » — montre qu’il est « au bout du bout », n’ayant « plus aucune offre politique pour lutter contre le terrorisme ».

De fait, avec plus de deux cents cinquante morts et plus d’un millier de blessés par attentats en France depuis dix-huit mois, et le sentiment que tout peut encore arriver, le président François Hollande semble plus impuissant que jamais. Moins d’un tiers des sondés lui font confiance dans la lutte contre le terrorisme. Le camion-bêlier lancé sur la foule de la fête nationale, l’égorgement d’un prêtre pendant un culte (après celui l’an dernier d’un chef d’entreprise) ajoutent à la symbolique de l’horreur. Le recours à une violence primitive, la transformation des objets quotidiens — le couteau, le camion — en armes de terreur ne peuvent qu’aviver les sentiments de peur, de découragement, mais aussi de colère d’une population pour qui désormais il est clair que chacun en France est devenu une cible potentielle, n’importe où, n’importe quand, n’importe comment, et par n’importe quel djihadiste exalté.

Du coup, les outils antiterroristes utilisés depuis dix-huit mois paraissent bien inefficaces. Ainsi, l’état d’urgence et l’opération Sentinelle — prolongés une nouvelle fois — n’ont « qu’une portée limitée sur la sécurité nationale », estime le rédacteur du rapport parlementaire précité, le député socialiste Sébastien Pietrasanta. Lors d’un colloque le 20 juin dernier (11), le général Jean-Marie Faugère qualifiait de « plaisanterie » un régime d’état d’urgence « sous lequel il n’y avait jamais eu autant de violences ! » (12)

Bousculer les réseaux

Il est vrai que l’engagement des militaires sur le territoire national au titre de l’opération Sentinelle n’a pas empêché les attentats. Et que, passé l’activisme policier et l’effet de sidération du premier état d’urgence, après janvier 2015, les assignations à résidence, les perquisitions sans mandat, les écoutes administratives — qui avaient donné les coudées plus franches à la police ces derniers mois, au grand dam des défenseurs des droits de l’homme — ont atteint également leurs limites, et rarement débouché sur des procédures pour faits de terrorisme. L’état d’urgence ne rassure guère les deux tiers des Français, selon plusieurs sondages.

Les défenseurs de ce régime d’exception font toutefois remarquer que, même s’il est peu spectaculaire (13), il a permis de bousculer les milieux activistes (14), de déstabiliser des réseaux, de gagner du temps et d’empêcher sans doute des attentats plus nombreux. Les projets actuellement défendus par les diverses personnalités de droite laissent à penser qu’après l’élection présidentielle de 2017, si l’une d’elles l’emporte, la France risque de passer à un stade de contrôle et de répression autrement plus robuste.

La décision du président Hollande, après Nice, de favoriser la montée en puissance des « réserves », au titre d’une mobilisation citoyenne, pour soulager l’armée et la police, ou d’étendre le service civique, n’a guère convaincu : la réserve est tombée en désuétude depuis la professionnalisation des armées, dans les années 1990 ; et la relance souhaitée des réserves, qui n’est pas la première du genre, demandera du temps… et accessoirement de l’argent.

Ce sera le cas également de la « garde nationale » dont le président souhaite la création, à partir justement des réserves opérationnelles existantes dans la gendarmerie (la plus performante), la police (la plus clairsemée) et les armées (où elles n’ont parfois d’opérationnelle que le nom). François Hollande a officialisé ce projet jeudi 28 juillet, après avoir reçu les sénateurs Jean-Marie Bockel et Gisèle Jourda, auteurs d’un rapport intitulé « “Garde nationale” : une réserve militaire forte et territorialisée pour faire face aux crises ». L’objectif est de mobiliser à terme jusqu’à quatre vingt mille réservistes. Cependant, il n’est pas question de former une ou des armée(s) bis, comme le sont par exemple les gardes nationales des États américains. Le projet est encore flou : un conseil de défense en précisera les contours début août ; et les parlementaires pourraient être consultés sur le sujet en septembre.

Guerre déclarée

Reste la grande question de l’engagement militaire français contre l’OEI : « Nous sommes face à un groupe, Daech, qui nous a déclaré la guerre. Nous devons mener cette guerre par tous les moyens », affirmait une nouvelle fois François Hollande mardi dernier sur le perron de l’Hôtel de Ville de Saint-Etienne du Rouvray, trois heures seulement après l’exécution du père Jacques Hamel. Mais n’est-ce pas aussi la France qui a déclaré la guerre à Daech en traquant ses émules au Sahel, en Libye, en Syrie, en Irak — au risque de s’attirer les foudres de cette organisation sur son propre territoire ?

Lire aussi Serge Halimi, « L’art de la guerre imbécile », Le Monde diplomatique, décembre 2015.

En d’autres termes, faut-il s’étonner que la France soit à ce point ciblée prioritairement par la multinationale du salafisme, alors qu’elle est géopolitiquement en première ligne : meilleure alliée occidentale de Washington (au Proche-Orient, au Sahel) ; désormais seule dans l’Union européenne à compter militairement (après la demi-défection de la Grande-Bretagne), avec des engagements sur plusieurs fronts simultanés ; proche partenaire de l’Arabie saoudite (dont elle dépend pour son approvisionnement en pétrole et ses marchés d’armement) (15) ; et toujours prompte à guerroyer tous azimuts, au nom de sa mission internationale, sinon de ses propres intérêts.

François Hollande prétend qu’une sortie de l’État de droit pour combattre le terrorisme chez soi (que préconise une certaine droite) serait inefficace et finirait par se retourner contre la France, tout en soutenant que frapper l’OEI et chercher à l’éradiquer « chez elle » revient à s’en protéger chez soi. Ce que policiers et juges tentent de faire en France, les pilotes de Rafale et de Mirage chercheraient à l’accomplir depuis le ciel du Proche-Orient.

Va-t’en-guerre

Le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, dans un discours récent à la Brookings Institution de Washington, ne dit pas autre chose : « Frapper Daech au Levant, c’est du même coup — pour nous et pour d’autres — protéger nos territoires ». Tout en affirmant que « la France n’est pas un va-t’en-guerre, mais sait reconnaître que certaines guerres s’imposent à elle », il assure que « l’idée selon laquelle nous pourrions en quelques sorte “acheter” notre tranquillité en n’intervenant pas contre Daech n’a aucun sens ». Selon le ministre, laisser l’OEI consolider son emprise sur le Proche-Orient, c’est lui donner encore plus de ressources, de combattants, et « de capacités de planification pour nous frapper, comme il l’a fait notamment en novembre dernier, selon un plan travaillé de longue date ».

Ancien haut-fonctionnaire au ministère de la défense et spécialiste entre autres de la « contre-radicalisation », Pierre Conesa estime au contraire, dans un entretien le 27 juillet à France 24 que la France paie de plus en plus — et au prix fort — son engagement militaire contre l’OEI « à la place des pays musulmans de la région »  : « Nous n’avons pas à nous mêler d’une guerre de religion entre sunnites et chiites, qui n’a rien à voir avec nos intérêts propres, et qui nous fait apparaître comme une puissance occidentale faisant une fois de plus la police au Moyen-Orient ». Mais il est un des seuls à poser ainsi clairement la question d’un lien de cause à effet entre les frappes en Syrie-Irak et les attentats en France (16).

Les 40 propositions sécuritaires du Parlement

Quelques jours avant l’attentat à Nice, la commission Fenech remettait sur le bureau de l’Assemblée nationale un rapport qui se conclut par l’exposé de quarante propositions dont voici, pour information, le détail.

 Proposition 1 : augmenter le nombre de cartouches tirées chaque année par les personnels des unités élémentaires de la police et de la gendarmerie nationales dans le cadre des séances d’entraînement au tir auxquelles ils participent.

 Proposition 2 : augmenter les effectifs de l’unité de coordination des forces d’intervention (UCoFI) pour lui permettre de faire face aux missions que lui assigne le nouveau schéma national d’intervention des forces de sécurité.

 Proposition 3 : engager dans les meilleurs délais une réflexion sur le traitement médiatique d’une attaque terroriste afin de définir :

— le rôle et les obligations des journalistes et des réseaux sociaux à l’occasion d’une crise de cette nature ;
— les modalités de la collaboration entre les pouvoirs publics et les médias dans un contexte de ce type.

Ce travail pourrait aboutir à l’élaboration d’un protocole signé entre tous les acteurs intéressés.

 Proposition 4 : créer une infraction caractérisée par la diffusion — sur tout support — d’une information susceptible de causer un préjudice à toute personne présente sur le lieu d’un attentat.

 Proposition 5 : constituer au plus vite sur l’ensemble du territoire national des colonnes d’extraction des victimes en zone d’exclusion composées de secouristes intervenant sous la protection des forces d’intervention.

 Proposition 6 : étendre le plan « Rouge Alpha » à l’ensemble des services de sapeurs-pompiers du territoire national.

 Proposition 7 : former l’ensemble des équipes de secours et médicales françaises à la médecine de guerre et aux techniques de damage control.

 Proposition 8 : organiser une grande campagne nationale d’initiation aux gestes qui sauvent.

 Proposition 9 : étendre rapidement à l’ensemble des équipes de secours et des équipes médicales l’usage du système d’information numérique standardisé (SINUS) pour suivre les personnes prises en charge et les recenser dans une base de données unique.

 Proposition 10 : clarifier les critères qui permettent aux victimes d’être inscrites sur la liste unique des victimes.

 Proposition 11 : étendre l’aide juridictionnelle à la phase transactionnelle devant le fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI).

 Proposition 12 : pérenniser dans notre organisation administrative un secrétariat d’État chargé de l’aide aux victimes disposant d’une administration dédiée.

 Proposition 13 : détacher en permanence des officiers de gendarmerie au sein de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

 Proposition 14 : fusionner le service central du renseignement territorial (SCRT) et la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) de la gendarmerie nationale dans une nouvelle direction générale du renseignement territorial, rattachée directement au ministre de l’intérieur. Partager les attributions de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) entre la DGSI et cette nouvelle direction générale du renseignement territorial. Intégrer la nouvelle direction générale du renseignement territorial au premier cercle de la communauté du renseignement.

 Proposition 15 : accélérer la mise en place, les recrutements et détachements de moyens afin de parvenir au plus vite à un véritable bureau du renseignement pénitentiaire pleinement opérationnel.

 Proposition 16 : poursuivre le recrutement supplémentaire d’agents au sein des services de renseignement au-delà des engagements pris jusqu’en 2018 et diversifier ces recrutements plus massivement en faisant appel, le cas échéant, à des experts contractuels.

 Proposition 17 : créer une base de données commune à l’ensemble des acteurs de la lutte antiterroriste consacrée exclusivement à l’antiterrorisme mais exhaustive, avec des niveaux d’accès adaptés aux besoins des services.

 Proposition 18 : créer une agence nationale de lutte antiterroriste, rattachée directement au premier ministre, en charge de l’analyse de la menace, de la planification stratégique et de la coordination opérationnelle.

 Proposition 19 : fusionner l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) et l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT). Repositionner l’ensemble auprès du ministre de l’Intérieur et non au sein de la direction générale de la police nationale (DGPN). Recentrer les missions de l’ensemble sur le pilotage et l’animation des directions du ministère dans la lutte antiterroriste.

 Proposition 20 : renforcer les prérogatives du coordonnateur national du renseignement, en lui octroyant notamment une capacité d’arbitrage budgétaire, pour en faire le directeur national du renseignement.

 Proposition 21 : engager une réflexion sur l’assouplissement du cadre juridique du statut de « repenti » dans le domaine du terrorisme.

 Proposition 22 : exclure les personnes condamnées pour des actes terroristes du bénéfice du crédit de réduction de peine automatique prévu à l’article 721 du code de procédure pénale.

 Proposition 23 : mettre en œuvre, dans les meilleurs délais, un plan de recrutement dédié aux juridictions spécialisées dans le traitement des affaires de terrorisme.

 Proposition 24 : adapter les obligations prononcées — sur le fondement de l’article 138 du code de procédure pénale — dans le cadre du contrôle judiciaire au profil des personnes mises en examen pour des infractions à caractère terroriste et renforcer les modalités de contrôle du respect de ces obligations.

 Proposition 25 : augmenter les capacités d’accueil du parc carcéral.

 Proposition 26 : lancer deux plans nationaux d’investissements dans la vidéoprotection et le déploiement de portiques équipés de lecteurs automatiques de plaques d’immatriculation (LAPI).

 Proposition 27 : engager une réflexion avec les collectivités territoriales sur la sécurisation des accès des équipements scolaires et de petite enfance actuels et futurs.

 Proposition 28 : engager une réflexion sur un changement des dispositifs de sécurité des aéroports internationaux français afin d’intégrer des méthodes de screening rénovées et une plus grande densité d’agents de sécurité.

 Proposition 29 : lancer un troisième plan de lutte antiterroriste pour le recrutement de 2 000 policiers et gendarmes afin de leur permettre de tenir la posture du plan Vigipirate dans la durée.

 Proposition 30 : diminuer progressivement le volume des effectifs engagés dans l’opération Sentinelle afin, à court terme, de le concentrer sur la seule protection de certains points stratégiques.

 Proposition 31 : doter les soldats de l’opération Sentinelle d’armes de poing en complément de leur dotation actuelle et les faire bénéficier d’une formation pour intervenir en milieu clos.

 Proposition 32 : accompagner la montée en puissance des entreprises de sécurité privée.

 Proposition 33 : engager une initiative forte auprès du gouvernement irakien et de la coalition internationale pour intervenir militairement plus massivement en Irak, y compris au sol, avec un objectif militaire et une stratégie de sortie définis préalablement en commun, afin de reprendre les derniers territoires occupés par Daech.

 Proposition 34 : engager une initiative forte auprès du gouvernement turc et de la coalition internationale pour sécuriser la frontière turco-syrienne afin d’arrêter le flux des combattants francophones qui transitent par la région de Manbij.

 Proposition 35 : inciter les États membres de l’Union européenne à accroître leur participation à Europol.

 Proposition 36 : organiser l’accès total d’Europol au système d’information Schengen (SIS 2) en consultation, recherche et signalement.

 Proposition 37 : donner à l’agence Frontex un accès complet au SIS 2.

 Proposition 38 : multiplier le nombre des agents d’Europol en Grèce pour appuyer l’action conduite par Frontex, dans chaque hotspot, dans le domaine de la gestion des flux migratoires.

 Proposition 39 : prévoir, dans le SIS 2, une mention spécifique de la menace terroriste potentielle de la personne signalée, soit dans le corps même du signalement (article 36 de la Décision cadre), soit dans les catégories de données attachées à la personne (article 20 de la Décision cadre).

 Proposition 40 : créer, au sein d’Europol, une cellule de veille 24/7 chargée de prendre en compte les hits détectés dans l’ensemble des États membres en lieu et place des bureaux SIRENE.

Philippe Leymarie

(1Lire Henri Leclerc, « Terrorisme et République » dans Le Monde diplomatique de février 1996.

(2Où sont visionnées et exploitées les images des caméras.

(3« Sous mon gouvernement, il n’y aura jamais de Guantanamo à la française », s’est engagé le premier ministre Manuel Valls, devant le Parlement.

(4TF1, 17 juillet.

(5Alors que durant le quinquennat précédent, Nicolas Sarkozy en avait supprimé 12 500.

(6Le président Nicolas Sarkozy avait dissous en 2008 les anciens Renseignements généraux, spécialistes du renseignement de terrain, du recueil des « signaux faibles », etc.

(7Dont plusieurs responsables des services de renseignement, auditionnés par la commission d’enquête de l’assemblée nationale, ont avoué ne pas connaître l’existence, ou en tout cas la mission…

(8Schéma qui a fait ses preuves notamment lors de l’assassinat du prêtre de Saint-Etienne du Rouvray, la BRI (Brigade de recherche et d’intervention) de Rouen ayant pu arriver sur les lieux dans le quart d’heure, avant d’être relevée par le RAID (Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion) — une unité à compétence nationale et disposant de moyens plus étendus. Le GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) est également en cours de décentralisation, avec création d’antennes régionales.

(9Le ministre Cazeneuve a expliqué aux députés que les services, très chahutés ces dernières années, « ne supporteraient pas un grand soir », selon le récit qu’en fait George Fenech. Il leur a même confié, avec une pointe d’ironie, qu’il « souhaite bien du plaisir à son successeur s’il veut se lancer dans cette aventure ».

(10En dépit de la loi adoptée sur ce sujet enı 2015, et de l’adjonction des personnels nécessaires, les remontées de renseignement ont été extrêmement faibles, ce dont s’est plaint récemment l’actuel garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas.

(11Organisé par le Club Participation et Progrès, au palais Bourbon, sur « la mobilisation de la nation face au terrorisme international ».

(12Allusion notamment aux « casseurs » des cortèges syndicaux opposés à la « loi travail » ces derniers mois à Paris, Nantes, Rennes. Ou aux bagarres de hooligans à Marseille.

(13Sur dix huit mois, il y aurait eu 3 500 perquisitions administratives, 700 armes saisies, 600 procédures judiciaires lancées.

(14Y compris des militants écologistes lors de la COP21, ou des hooligans — signe de dangereux glissements par rapport à la vocation supposée uniquement antiterroriste de ces mesures d’exception.

(15« L’Arabie saoudite, c’est Daech qui a réussi », estime l’essayiste Kamel Daoud. Lire Nabil Mouline, « Genèse du djihadisme », Le Monde diplomatique, décembre 2015.

(16Lire ses articles dans Le Monde diplomatique de février et décembre 2015, « Comment tarir les sources du recrutement salafiste armé » et « Au Proche-Orient, cinq conflits entremêlés ».

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