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« Casse-toi, pauv’ con ! »

par Xavier Monthéard, 19 septembre 2019
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« Sad Apostrophe »

Pas d’apostrophe à « com » pour abréger « communication » ?! Il me semblait pourtant qu’on en mettait une... « Non, l’apostrophe c’est avec Saint-Trop’, a patiemment répété ma collègue. Tu sais bien, quand on veut indiquer qu’il y a une ambiguïté, qu’il faut prononcer la lettre finale (“Saint-TropE”). La règle de Francis T., quoi... » Et là, notre discussion du mois précédent m’est enfin revenue. Tout comme le souvenir de Francis T. (salut Francis, au cas où tu lirais ce billet !), correcteur chevronné croisé au Figaro Madame il y a quelques éternités.

Tu t’étonnes peut-être, sagace lecteur, que l’auteur de ce blog s’emmêle ainsi les neurones ? Ce n’est pas rare. Accusons d’abord Mnémosyne, la capricieuse déesse de la Mémoire, en plaidant le cruel passage des ans. Maudissons les courts-circuits cérébraux, contre lesquels n’existe qu’une bonne solution (je ne parle pas de décapitation) : graver les décisions, sinon dans le marbre, du moins dans TypoDiplo, notre bible en ligne — mais ça n’avait pas été fait, le goudron et les plumes pour l’Ornithorynque ! Invoquons aussi un effet pervers du registre de langue en vigueur au Monde diplomatique, soutenu. L’abréviation par troncation d’une syllabe, ou de plusieurs, n’y est pas en odeur de sainteté. Oui, on se permet « photo », mais ce n’est vraiment pas le paradis de l’apocope — le nom du procédé en question. Déso.

Foin des excuses ! Ton serviteur faisait surtout preuve d’autant de coupable légèreté que les codes typographiques. Ces derniers ne mettent pas l’apostrophe en vedette. À tort. Comme chacun sait, elle marque ordinairement l’élision. J’, t’, l’, m’, s’ ou même jusqu’ et presqu’ : voilà des formes très familières pour nos rétines. Un son, le plus souvent un e, est amuï ; et pour signaler cela une lettre est supprimée à l’écrit. D’où vient qu’une apostrophe puisse abréger plus large, taillant jusqu’à la syllabe, et plus encore qu’elle sonorise une lettre, comme dans notre « Saint-TropE » ? Eh bien... tout d’abord, elle ne devrait pas. Les grammaires lui dénient cette fonction. De même, et c’est une erreur qu’on voit souvent dans la BD, ne peut-on trouver de justification rationnelle à l’ajout d’une apostrophe dans l’expression « y a » — « Y a pas de souci », dixit Blanche Gardin.

Mais c’est frustrer un plaisir, celui d’imiter le registre familier du langage. L’apostrophe est bien pratique pour noter des phénomènes oraux ; virgule ayant pris son envol, elle souligne avec volupté un écart par rapport à la norme orthographique. La presse a ainsi généralement retranscrit « Casse-toi, pauv’ con ! » l’insulte proférée en 2008 au Salon de l’agriculture par... Sarko. Plus les termes employés évoquent l’argot, plus elle trouve sa raison d’être : « On a fait de la récup’ sur le Boul’ Mich’ », ainsi que les étudiants d’un autre temps appelaient le fameux boulevard parisien.

Dire : « la com », c'est moins parler comme le peuple que jargonner dans le sens du vent

D’où la « règle de Francis T. » : une astuce de correcteur pour signifier l’oral. D’où aussi la tentation d’écrire « com’ »... à laquelle il convient d’autant moins de céder que ce mot se trouve dans le Petit Larousse, parfaitement lexicalisé, et donc sans apostrophe. Dire : « la com », c’est moins parler comme le peuple que jargonner dans le sens du vent. Avide de toucher le plus grand nombre possible de consommateurs, jeunes de préférence, la com’ avec apostrophe singe les marques commerciales qui multiplient le signe typographique dans leur logo, de la boisson Panach’ à l’Institut national des langues et civilisations orientales quand il s’est métamorphosé en Langues’O, puis Langues O’.

Indulgente lectrice, nous pourrions approfondir. Nous ausculterions le trigramme breton « c’h », disséquerions les étranges « rafle du Vel’d’Hiv » et « bat’ d’Af », danserions ensemble peut-être le rock’n’roll et le R’n’B au bal des Quat’z’Arts... Mais je ne te retiendrai pas plus que le temps d’une friandise typographique. Tu sais peut-être que le nom du peintre Jérôme Bosch était un pseudonyme. Il provient de sa ville natale, Bois-le-Duc, que nos quasi-voisins néerlandais appellent (ne me demande pas comment prononcer)… ’s-Hertogenbosch. Oui, tu as bien lu : avec une apostrophe initiale, devant la lettre et non pas derrière. Voilà tous nos principes d’élision et d’apocope qui se retrouvent cul par-dessus tête.

Xavier Monthéard

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