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Comme un Palestinien

Après le début de l’offensive israélienne sur Gaza et durant quatre mois, Mazen Kerbaj a dessiné la guerre, presque quotidiennement. Des images et des mots, composés comme des affiches, au fil des angoisses de l’auteur et des étapes du carnage.

par Guillaume Barou, 18 avril 2024
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« Génocide. Ne pouvez-vous toujours pas le voir ? »
(18 décembre 2023)

Le 5 octobre 2023, à Ljubljana, en Slovénie, Mazen Kerbaj réalisait une fresque « en souvenir des enfants gazaouis morts depuis 2008 ». « Je n’avais aucun doute sur le fait que cela tiendrait aussi lieu de mémorial pour les enfants qui seraient tués par des bombes dans le futur. Mais je ne savais pas que ce futur arriverait aussi vite et que ce serait aussi sanglant, cette fois », écrivait il en partageant des photos de l’œuvre sur Instagram quelques jours plus tard.

Dès lors, comme en 2006 quand Israël a bombardé Beyrouth, et à l’hiver 2008-2009, pendant une précédente opération à Gaza, l’artiste libanais s’est mis à dessiner la guerre et la mort, jour après jour. En 2015, Kerbaj a emménagé à Berlin avec sa famille, et c’est depuis cet exil, peu propice au soutien des Palestiniens, qu’il a suivi l’offensive. La distance ajoute ainsi un sentiment de déréalisation qu’il exprime dans nombre des dessins de cette série.

L’ampleur du massacre actuel semble imposer une nouvelle grammaire de la représentation. Pas de strip, de peinture, aucune des élaborations graphiques souvent tragiquement drôles dont il est coutumier. Ici, le texte est prépondérant, et les images épurées au minimum de signes, souvent très graphiques, presque toutes au même format et toujours en noir et blanc. Des affiches faites de symboles et d’icônes, à placarder sur les murs électroniques.

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La fresque, à Ljubljana.

En 2024, Mazen Kerbaj avait décidé de prendre une année sabbatique, lui qui, entre le dessin, la musique, et même un film récemment, semble ne jamais s’arrêter. La guerre a mis entre parenthèses ce projet. Après le dernier dessin de la série, Comme un Palestinien, qui « sonne a posteriori comme un dessin parfait pour terminer ce cycle », « je me retrouve complètement largué. Je ne sais pas ce que je peux ajouter à tout cela », nous confie-t-il. Il n’y a rien à ajouter.

Les dates sont celles de la publication sur Instagram.

« Je n’avais jamais pensé que je verrais quelque chose de pire que le corps d’un enfant assassiné, jusqu’à ce que je voie la vidéo d’un père transportant les restes de son fils dans un sac-poubelle en plastique » (17 octobre 2023).

« Hey ! Je suis un W.C.N.S.F (*)
(*) Wounded Child No Surviving Family — Enfant blessé pas de famille survivante » (19 octobre 2023).  (1)

« Le regard de ce garçon à l’hôpital me hante. Comment puis-je représenter ses tremblements ? » (21 octobre 2023).

« Génocide
Si vous ne pouvez pas le voir, c’est que vous le soutenez ! » (23 octobre 2023).

« “Nous resterons ici”
Ce n’est pas un slogan politique. C’est le chant repris en chœur par les médecins palestiniens qui refusent d’abandonner leurs patients après que l’armée israélienne a ordonné leur évacuation de l’hôpital » (25 octobre 2023).

« La culpabilité
de savoir que l’on vit dans un endroit sûr » (27 octobre 2023).

« De Gaza au monde :
est-ce que vous nous voyez vraiment ? » (4 novembre 2023).

« Je suis la fille de deux dommages collatéraux » (8 novembre 2023).

« La Palestine
est la boussole morale du monde » (10 novembre 2023).

« Gaza et mon cerveau sont en train de partir en fumée » (11 novembre 2023).

« Nakba 2.0 » (12 novembre 2023).

« Le monde “libre” nous dit que le mot génocide est inapproprié (parce qu’il implique qu’il n’y a pas de résistance de l’autre côté). C’est la même chose pour nettoyage ethnique. Nous sommes “libres” d’utiliser ce qui suit : meurtre de masse, bain de sang, massacre, carnage, boucherie, tuerie, décimation, effusions de sang… » (21 novembre 2023).

« Tapis de bombes (fait en Israël) » (26 novembre 2023).

« En cas de doute, souvenez vous que :
l’oppresseur a toujours tort. » (9 janvier 2024).

« Pendant que je dessine, Gaza est en train de se faire effacer » (19 janvier 2024).

« Restes. Après s’être retirés des zones où ils étaient stationnés, les soldats israéliens laissent derrière eux des choses qui ressemblent à des boîtes de conserve et qui sont en réalité des petites bombes qui explosent quand on essaie des les ouvrir. Dans un endroit ou 80 % de la population est affamée. » (3 février 2024).

« Puisses-tu être patient… Puisses-tu être fort… Puisses-tu être plein d’espoir… Puisses-tu être aimant… Puisses-tu être fier… Puisses-tu être résilient… Puisses-tu être imbattable… Puisses-tu être indulgent… Puisses-tu être vaillant… Puisses-tu être généreux… Puisses-tu être authentique… Puisses-tu être humble… Puisses-tu être invincible… Puisses-tu être calme… Puisses-tu être sans peur… Puisses-tu être plein de ressources… Puisses-tu être accueillant… Puisses-tu être déterminé… Puisses-tu être éduqué… Puisses-tu être courageux… Puisses-tu être têtu… Puisses-tu être amical… Puisses-tu être défiant… Puisses-tu être résistant… Puisses-tu être juste… Puisses-tu être enraciné… Puisses-tu être beau… Puisses-tu être éternel… Puisses-tu être… Comme un Palestinien. » (26 février 2024).

Mazen Kerbaj

Guillaume Barou

(1« Laure Ghorayeb, ce dessin et inspiré par toi et t’es dédicacé », figure aussi en bas à gauche : il s’agit de la mère de l’auteur, artiste elle aussi et décédée début 2023.

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