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Lettre du Sénégal

En Casamance, la paix en pente douce

par Anne-Cécile Robert, 17 décembre 2020
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Près de Ziguinchor, en 2033 cc jbdodane

Après plusieurs décennies d’un conflit armé sanglant, la Casamance commence à retrouver le calme et la sérénité. La plupart des groupes armés qui se sont insurgés en 1982 contre l’État du Sénégal ont rendu les armes. Mais certains continuent de mener des actions violentes, agressant des villageois, pillant et trafiquant. Aucun accord général de paix n’a encore été signé avec le Mouvement des forces démocratiques casamançaises (MFDC) : des pourparlers se tiennent à différents endroits de la luxuriante région sénégalaise, frontalière de la Guinée-Bissau et de la Gambie.

C’est dans cette région, séparée du reste du territoire national par la Gambie, que le journaliste et intellectuel sénégalais Gorgui Wade Ndoye a choisi d’organiser la seconde session sénégalaise de l’événement annuel qu’il a créé en Suisse, où il réside et d’où il dirige le site continentpremier.com. Cette manifestation culturelle, joliment appelée le Gingembre littéraire, réunit des artistes, des intellectuels, des scientifiques, des journalistes, des personnalités du monde associatif et des élus. Du 4 au 6 décembre 2020, à Ziguinchor et à Sedhiou, les débats ont été intenses sur le thème « La Casamance, terre de paix ». Des artistes, telle la jeune chanteuse Coumbis Sora, ou le poète Ndongo Mbaye ont agrémenté les rencontres de leur voix et inspiration, teintant d’émotion les échanges. En pleine pandémie de Covid-19, les intervenants n’ont pas manqué de souligner les perspectives ouvertes au continent par la contraction des échanges avec l’Occident et, plus symboliquement, par la transformation radicale de l’image de ce dernier. En effet, les réseaux sociaux et les télévisions ont montré la panique des Européens et la faillite de leurs systèmes sanitaires face à l’épidémie. Aux yeux des populations du continent, ils ont beaucoup perdu de leur superbe, incitant les Africains à davantage compter sur eux-mêmes et à imaginer leur propre voie de développement.

Lire aussi Séverine Charon & Laurence Soustras, « L’Afrique privée de vaccins », Le Monde diplomatique, décembre 2020.

Située dans la partie sud du Sénégal, éloignée du reste du pays par la Gambie, la Casamance fut colonisée par les Français, qui y installèrent des comptoirs au XIXe siècle, et disputée par les Portugais qui possédaient la Guinée-Bissau voisine. Maîtres de la Gambie, les Britanniques ne se mobilisèrent pas pour dominer cette région pourtant riche de sa nature productive : mangue, riz, arachide, etc. Tout au long du XIXe siècle, des actes de résistance, notamment de la part des populations Diola, ont tenu les Européens sur leur garde. Mais le conflit n’est devenu intense et violent qu’à la fin du XXe siècle, lorsque le gouvernement central de Dakar choisit la manière forte et réprima dans le sang les manifestations indépendantistes. Des membres du MFDC créèrent une branche armée et enclenchèrent une guérilla meurtrière. Officiellement, le conflit n’a fait que 5 000 morts depuis 1982 mais ces chiffres sont approximatifs et ne rendent pas compte du déchainement de violence qui a ravagé la région, tant de la part des rebelles que des forces gouvernementales.

Le traumatisme des populations et la dissémination des mines antipersonnel constituent l’un des défis majeurs de la réconciliation avec la reconversion des guérilléros vieillissants. Durant l’été 2020, deux militaires ont été tués en sautant sur une mine. L’ancien maire de Ziguinchor, M. Robert Sagna, une personnalité très respectée, se montre cependant optimiste sur la capacité des médiateurs à obtenir que les derniers rebelles déposent les armes. La rébellion indépendantiste du MFDC est la plus ancienne de ce type sur le continent. Elle a « échoué militairement », nous explique un haut fonctionnaire qui requiert l’anonymat, et doit négocier la normalisation des rapports avec l’État central qui se montre disposé à investir pour le développement de la région. En témoigne l’inauguration du pont Sénégambie qui enjambe le fleuve Gambie en 2019.

Jusqu’à présent, il fallait prendre un bac ou contourner la zone via la ville de Tambacounda à quelques 400 kilomètres de là. Le président Macky Sall a décrété la région « zone touristique spéciale d’intérêt national » et mis en place une politique de défiscalisation pour soutenir les investissements touristiques. Mais l’application de ces mesures se fait attendre et les problèmes de logistique (transport de marchandises) entravent les grands projets commerciaux.

Le Gingembre littéraire a mis cette année à l’honneur les femmes casamançaises, non pour céder à la mode, mais parce qu’elles jouent un rôle social reconnu et essentiel. Le sud de la Casamance abrite des sociétés matrilinéaires. D’autre part, la tradition locale veut que les hommes qui partent en guerre consultent les femmes. La Plateforme des femmes casamançaises pour la paix travaille aujourd’hui activement à tisser des liens, créer des espaces de discussion et pousser à la fin définitive des combats. Sa présidente, Mme Ndèye Marie Diédhou Thiam, souligne qu’un « processus de paix n’est pas linéaire », qu’il faut savoir méthodiquement user de persuasion et surtout créer la « confiance » entre les acteurs.

Toute solution durable est entravée par la corruption, due en partie à la stratégie du gouvernement sénégalais depuis des décennies : diviser pour mieux régner, acheter les uns pour affaiblir les autres. En revanche, les récents changements de régime en Guinée-Bissau et en Gambie, dont les dirigeants ont longtemps soutenus le MFDC, ouvrent des perspectives de paix durable. Acteurs locaux et représentants du gouvernement s’activent pour concrétiser cet espoir.

Anne-Cécile Robert

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