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La Ligue arabe : un machin saoudien ?

par Akram Belkaïd, 23 mai 2018
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Des manifestants syriens devant le siège de la Ligue des États arabes au Caire, en 2011

Les vingt-deux membres de la Ligue des États arabes (1), organisation créée le 22 mars 1945, sont-ils en train de faire mentir l’adage attribué au grand penseur Ibn Khaldoun, selon lequel « les Arabes se sont entendus pour ne jamais s’entendre » ? Après les temps de discorde — on se souvient, par exemple, des insultes échangées entre le roi d’Arabie saoudite et le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi lors d’un sommet arabe en février 2003 —, c’est bel et bien une unanimité qui semble désormais unir ces pays. Unanimité dans la retenue et l’inaction mais unanimité tout de même…

Lire aussi Akram Belkaïd & Olivier Pironet, « Duplicité arabe, impasse palestinienne », « Palestine. Un peuple, une colonisation », Manière de voir n˚157, février-mars 2018.

Après la mort, lundi 14 mai, de 60 Palestiniens de Gaza abattus par l’armée israélienne, et cela au moment même où les États-Unis inauguraient leur ambassade à Jérusalem, une conférence extraordinaire des ministres des affaires étrangères des pays membres s’est tenue le 17 mai au siège du Caire (la veille, une réunion avait regroupé les délégués permanents). « Beaucoup de parlotte, peu de décisions concrètes et tout le monde est d’accord pour adopter une position de profil bas » résume à ce sujet un diplomate maghrébin.

Certes, la Ligue a appelé à « une enquête internationale » sur les tragiques événements de Gaza, son secrétaire général Ahmed Aboul Gheit ayant même évoqué « les crimes » des forces israéliennes. De même, la Ligue a dénoncé la décision « irresponsable » des États-Unis de transférer leur ambassade en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem. Mais aucune mesure réelle n’a été prise si ce n’est que M. Aboul Gheit est désormais chargé de préparer un « plan stratégique » pour empêcher d’autres pays de transférer eux-aussi leur ambassade en Israël dans la ville sainte. On relèvera aussi que M. Amjad Shamout, le président de la commission permanente des droits de l’homme de la Ligue arabe, a bien déclaré que les politiciens et militaires israéliens doivent être « traduits devant la Cour pénale internationale », mais la Ligue n’a enclenché aucune démarche pour que la CPI soit concrètement saisie, pas plus qu’elle n’a encouragé l’Autorité palestinienne à entamer une telle procédure.

Gaza enfermée

Gaza enfermée

Gaza enfermée

Cécile Marin, 1er février 2018

D’ailleurs, les pays membres de la Ligue se sont bien gardés d’évoquer la possibilité de représailles économiques ou diplomatiques contre Israël ou contre des pays qui transfèreraient leurs ambassades à Jérusalem. Ils n’ont pas non plus appelé à un gel de la normalisation arabe avec Tel-Aviv en raison des violences subies par les Palestiniens. Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement car c’est l’Arabie saoudite qui est désormais à la manœuvre dans cette instance. C’est effectivement à l’initiative du royaume que la réunion du 17 mai a été convoquée, une manière classique de contrôler le cours des événements en prenant les devants. En insistant pour que la Ligue réitère son soutien au processus de paix israélo-palestinien, Riyad a ainsi fait coup double : d’abord en évitant que l’Égypte et la Jordanie, les deux seuls pays arabes qui entretiennent des relations diplomatiques avec Israël, ne soient appelés à geler ces relations voire à les rompre. Ensuite, en empêchant que l’actuel rapprochement entre le royaume wahhabite et Tel-Aviv ne soit formellement entravé, ou tout simplement critiqué, à l’heure où les dirigeants saoudiens n’ont pour seule préoccupation que le fait de contrer l’influence iranienne dans la région, fut-ce au prix d’une alliance plus ou moins explicite avec les Israéliens.

Lire aussi Gilbert Achcar, « Au Proche-Orient, la stratégie saoudienne dans l’impasse », Le Monde diplomatique, mars 2018.

C’est donc au sein de la Ligue arabe que Riyad fait entériner ses priorités. Il y a deux ans, c’est dans cette instance que le Hezbollah libanais, un allié de Téhéran, a été qualifié d’organisation « terroriste. » Et, de manière plus récente, c’est l’ensemble des membres de la Ligue arabe qui ont soutenu le Maroc dans sa décision de rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran au prétexte que Téhéran aurait facilité une livraison d’armes, via le Hezbollah, aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario.

Ironie de l’histoire, l’Arabie saoudite s’est longtemps méfiée de la Ligue arabe qu’elle jugeait trop dépendante de l’influence égyptienne et de celle du bloc « progressiste ». Cela explique, entre autres, pourquoi le royaume a favorisé la naissance de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), le 25 septembre 1969. Installée à Djeddah et représentée aux Nations unies, cette organisation a permis à Riyad de promouvoir son influence politique et religieuse à travers le monde arabo-musulman et de compenser son relatif isolement au sein de la Ligue arabe où des pays comme l’Égypte, l’Irak, la Syrie, la Libye ou l’Algérie jouaient les premiers rôles. Aujourd’hui, comme l’explique encore le diplomate maghrébin, « les diplomates saoudiens donnent le “la” et leurs homologues égyptiens et d’autres pays du Golfe relayent. Les autres acquiescent ou, tout du moins, se taisent. »

Et, par un autre retournement des choses, c’est désormais au sein de l’OCI que l’Arabie saoudite doit faire face à la contestation. Président en exercice de l’organisation, le numéro un turc Recep Tayyip Erdogan entend être le fer de lance de la riposte diplomatique contre les Israéliens. Ankara a rappelé son ambassadeur en poste à Tel-Aviv et la diplomatie turque tente de rallier à elle les capitales, et surtout les opinions publiques, qui souhaitent que les dirigeants arabes soient moins timorés à l’égard d’Israël et des États-Unis. La presse turque favorable au pouvoir de M. Erdogan a ainsi accordé une large place aux déclarations de Mme Louisa Hanoune, présidente du Parti des travailleurs algériens (PT, trotskyste) pour qui l’Algérie doit geler sa participation à la Ligue arabe « jumeau d’Israël » et ne plus « s’asseoir avec des traîtres. »

Akram Belkaïd

(1Soit, par ordre alphabétique (la date d’adhésion est indiquée entre parenthèses) : Algérie (1962), Arabie saoudite (1945, membre fondateur), Bahreïn (1971), Comores (1993), Djibouti (1977), Égypte (1945, membre fondateur), Émirats arabes Unis (1971), Irak (1945, membre fondateur), Jordanie (1945, membre fondateur), Koweït (1961), Liban (1945, membre fondateur), Libye (1953), Maroc (1958), Mauritanie (1973), Oman (1971), Palestine (1976), Qatar (1971), Somalie (1974), Soudan (1956), Syrie (1945, membre fondateur), Tunisie (1958) et Yémen (1945, membre fondateur). La Ligue arabe compte aussi plusieurs pays observateurs : Brésil, Érythrée, Venezuela, Inde et Turquie.

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