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Lettre de Moscou

La place rouge était vide

par Olesya Orlenko, 2 avril 2020
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« Red square » (Place rouge) cc seriykotik1970.

En Russie, les mesures de quarantaine ont été renforcées le 29 mars. Cela veut dire que les écoles, les universités et les centres de formations effectuent leur travail d’enseignement à distance. Partout, les concerts, les spectacles et les manifestations sportives sont annulées jusqu’au 10 avril. Par contre, le métro, les transports en commun fonctionnent et les restaurants peuvent effectuer du portage à domicile. La mairie de Moscou a suspendu l’utilisation gratuite des transports pour les retraités jusqu’au 14 avril. Les personnes de plus de 65 ans ont l’interdiction de quitter leur domicile. Dans le secteur privé, les patrons peuvent licencier les travailleurs. La mairie a promis de payer environ 19 000 roubles (220 euros) aux moscovites s’ils perdent leur travail pendant cette période.

Lire aussi « Covid-19, et la vie bascula », Le Monde diplomatique, avril 2020.

Dans tout le pays, un confinement de 14 jours était déjà obligatoire pour ceux qui arrivaient des pays les plus affectés par le coronavirus et pour les gens qui avaient été en contact avec eux. La mairie de Moscou a ouvert une ligne verte : tous les arrivants de ces pays sont obligés d’appeler ce numéro de téléphone pour être enregistrés et donner leur adresse de résidence. En cas de non respect du confinement, les personnes contaminées (dans le cas où la contamination est prouvée) peuvent porter plainte.

La police effectue des contrôles. La garde nationale assure des patrouilles dans les rues. À Moscou, 200 personnes, sorties de leur domicile malgré l’interdiction, ont été détectées par l’une des 174 000 caméras de surveillance installées dans les rues. Elles encourent des amendes, l’interruption d’activité pour certaines catégories de salariés, des peines d’emprisonnement jusqu’à cinq ans si on provoque le décès d’une personne par contamination etc.

Selon la vice-présidente du gouvernement Tatiana Golikova, la Russie dispose de 40 000 respirateurs en service, soit 27 appareils pour 100 000 habitants (l’OMS préconise 20 respirateurs pour 100 000). Le gouvernement russe a commandé 5 700 appareils supplémentaires, à une filiale de la société d’État Rostekh, et promet de multiplier la production mensuelle par dix.

Le 26 mars, le président Vladimir Poutine s’est adressé à la nation. La veille, il avait reporté la consultation populaire sur la réforme constitutionnelle qui doit notamment lui permettre de briguer deux nouveaux mandats — réforme approuvée par la Cour constitutionnelle le 16 mars. Parmi les mesures annoncées le 26, on peut retenir :
 toutes les aides temporaires sont prolongées automatiquement de six mois ;
 les anciens combattants vont recevoir un soutien supplémentaire (sans précision) ;
 le montant de l’allocation-chômage est augmenté (de 8 000 à 12 130 roubles, c’est-à-dire le montant du salaire minimum) ;
 un délai de grâce est accordé pour le remboursement des crédits bancaires aux personnes qui ont perdu plus que 30 % de leurs revenus.

Les administrations publiques (ministères, archives et bibliothèques) travaillent à distance. Les salles de lecture sont temporairement fermées. La Poste, ainsi que les grandes compagnies (Rusal, Mail.ru Group, En+ Group, Yandex) ont organisé le travail de leurs employés à domicile. En revanche, 61 % des entreprises n’ont pas adopté de mesures spécifiques : leurs salariés continuent de se rendre au bureau (d’après les données du 16 mars 2020). À Moscou et à Saint-Pétersbourg, le travail à distance paraît plus répandu, notamment pour les salariés les plus âgés ou ceux dont l’état de santé l’impose.

En 2017 (derniers chiffres disponibles), on comptait 1 172 800 lits d’hôpital pour 144 500 000 habitants . Malgré une hausse des investissements dans les grandes villes de Russie et de Crimée — 7 milliards de roubles, soit huit fois plus que l’année précédente — la tendance demeure à la réduction de la capacité d’accueil des malades. On voit également la réduction du nombre d’hôpitaux par rapport à l’an 2000. Seules les visites strictement nécessaires des proches y sont actuellement autorisées.

Au 2 avril, les chiffres officiels sont de 536 000 tests effectués, 2 337 positifs, 121 personnes guérisons et 30 morts

Le ministère de la santé fournit régulièrement des informations sur l’évolution de l’épidémie. Au 2 avril, 536 000 tests ont été effectués ; 2 337 d’entre eux ont montré un résultat positif ; 121 personnes sont guéries, 30 sont mortes.

En Russie, trois organismes publics gèrent la pandémie. Tout d’abord, Ie ministère de la santé qui supervise la formation des médecins et les infrastructures de santé. Ensuite, intervient le Rospotrabnadzor, l’organe fédéral de protection des consommateurs qui vérifie, par exemple, si l’hôpital a bien rempli sa mission auprès de l’usager. Chaque patient signe un contrat avec l’établissement de santé auquel il s’adresse et en vertu duquel il peut contester le traitement qu’il a reçu. Les compagnies d’assurance peuvent saisir le Rospotrabnadzoret au ministère de la santé au nom de leur client.

Le troisième type d’organisme intervenant dans la gestion de l’épidémie, les « états-majors directeurs », ont été créés par le ministère de la défense. Ils sont dirigés par des militaires. En principe, ils sont temporaires. Ils n’ont pas de sites Internet, mais leurs rapports sont publiés par le Rospotrebnadzor. L’état-major à Moscou a déclaré un mort du au coronavirus.

La Russie affirme avoir le plus bas niveau de propagation de Covid-19 dans le monde grâce aux mesures qui ont été prises très vite et de manière efficace, selon la vidéo officielle du Rospotrebnadzor.

Mais les données sont-elles fiables ? Seuls les gens qui sont revenus de l’étranger ont été testés ; et ceux qui se sont présentés volontairement. Il n’existe aucun test obligatoire. La pénurie de médicaments est très répandue et beaucoup de pharmacies ne peuvent pas fournir de gel hydro-alcoolique ou de masques. J’ai contacté le syndicat des médecins « Action » (« Действие ») : selon lui, si on compare le nombre des morts de cette année avec celui de l’année dernière, on peut avoir les données indirectes, mais pas tout de suite. Sinon, le pouvoir tient beaucoup à maintenir cette image : panique et propagation rapide dans le monde, contre-mesures efficaces et situation sous contrôle en Russie. D’autres mesures suivront sans doute.

Olesya Orlenko

Responsable de l’édition russe du « Monde diplomatique », qui publie chaque mois, depuis Moscou, sept articles traduits de l’édition française.

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