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La revanche de Fañch ?

par Xavier Monthéard, 29 avril 2021
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Institut Cervantes à Madrid, 2009
© baroug

J’avoue, j’y ai cru. Le 8 avril, l’Assemblée nationale a adopté une loi pour la protection et la promotion des langues régionales, dite loi Molac. Parmi cent conséquences, tout aficionado de la typo braquera sa lorgnette sur celle-ci : le dénouement de l’« affaire Fañch », rocambolesque histoire connue de chaque Breton bretonnant, mais moins du grand public hexagonal et ultramarin. On se repasse le feuilleton en accéléré ?

Fañch. Avec une ondulation sur le n. En français, ce signe, appelé tilde, est utilisé dans quelques mots d’origine espagnole : par exemple, la Doña Sol de Victor Hugo, si si señora ! Mais le tilde n’est plus en odeur de sainteté. Et sent même le soufre quand, comme dans le cas de Fañch, des parents s’avisent de doter leur enfant d’un blase qui ne serait pas conforme aux us et coutumes de la mère patrie.

En effet, pour les prénoms des poupons, la circulaire du 23 juillet 2014 relative à l’état civil « rappelle que seul l’alphabet romain peut être utilisé et que [sont seuls admises] les voyelles et consonnes accompagnées d’un signe diacritique connues de la langue française ». À savoir (roulement de castagnettes) : « à - â - ä - é - è - ê - ë - ï - î - ô - ö - ù - û - ü- ÿ - ç ».

Pas de tilde. Pas non plus d’accent aigu sur le i ou d’accent grave sur le o. La République une et indivisible ne saurait voir sans rougir semblables mésalliances.

(Par parenthèse, cette défense de la langue française serait plus convaincante si les mêmes, parfois adeptes de la start-up nation, ne s’accommodaient pas de la langue anglaise, au point que les cartes d’identité nationales seront dès le mois d’août libellées en français et en anglais.)

La République une et indivisible ne saurait voir sans rougir semblables mésalliances

On ne badine pas avec l’état civil. S’il refuse un prénom, c’est niet. Vous pouvez toujours tapoter celui-ci dans des textos, le peinturlurer sur le berceau, banderoler et calicoter l’appartement, il n’apparaîtra pas sur la carte d’identité. Sauf à aller en justice. C’est ce qu’a fait en 2017 la famille Bernard. Après que, le 13 septembre 2017, le tribunal de Quimper a statué qu’autoriser le tilde reviendrait « à rompre la volonté de notre État de droit de maintenir l’unité du pays », elle a obtenu en novembre 2018 une décision favorable de la cour d’appel de Rennes. Puis le parquet général s’est pourvu en cassation. Un vice de forme a rendu sa demande irrecevable. Résultat mi-chèvre, mi-chou : Fañch Bernard a pu garder son tilde, mais la circulaire de 2014 n’a pas été modifiée. Le problème demeure : en novembre 2019, le parquet de Brest a interdit le tilde pour un deuxième Fañch.

Ce ping-pong juridique n’a pas de fondement typographique. Le n tildé serait-il plus opaque que le y tréma ? En ancien français, ce dernier folâtrait comme variante du ï. Il subsiste dans quelques toponymes (L’Haÿ-les-Roses) et patronymes (le trop oublié Pierre Louÿs). Il n’a plus aucune vitalité, mais ce n’est pas le problème : qui dérange-t-il depuis que l’informatique a transformé en jeu d’enfant sa saisie sur un clavier ?

Même si on restreint les listes aux « voyelles et consonnes accompagnées d’un signe diacritique connues de la langue française », on constate que le n tildé n’est pas un rastaquouère. Dès 2017, le journaliste spécialiste de sociolinguistique Michel Feltin-Palas levait un lièvre : « En 1539, François Ier publie l’ordonnance de Villers-Cotterêts, un texte qui, dans son article 111, impose pour la première fois le français à la place du latin dans les actes judiciaires. Or ledit article possède à lui seul trois tildes (“cõtenus” pour “contenus”, par exemple). » Mais aussi : « En 1567, dans un texte officiel, Charles IX se présente ainsi comme le “roy de Frãce” et non de “France”. » Plus près de nous, le tilde est encore présent sur l’acte de naissance du héros de la première guerre mondiale Georges Guyñemer, né à Paris.

La relégation de ce signe, et d’autres, procède donc d’une volonté politique, mal informée. Alors que le moindre blog orthographie correctement, avec sa brève sur le g, le nom du président turc (Erdoğan), quelle ringardise de priver les Catalans des Pyrénées-Orientales des prénoms Núria, Lluís ou Llívia ! La loi Molac, qui dispose explicitement que « les signes diacritiques des langues régionales sont autorisés dans les actes d’état civil », corrige cette aberration.

Hélas, trois fois hélas ! La semaine dernière, soixante députés du groupe La République en marche et affiliés ont déposé un recours devant le Conseil constitutionnel. Il se chuchote que cette armée sexagésimale s’est mise en ordre derrière le ministre Jean-Michel Blanquer, l’inventeur de l’inénarrable formule « Il y a une seule langue française, une seule grammaire, une seule République ». Le sermonnaire du rythme ternaire aura-t-il le scalp de Fañch ?

Verdict des « sages » fin mai.

Complément

 Michel Felton-Palas, « Quand le ñ était français… », L’Express, 13 septembre 2017.

Xavier Monthéard

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