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Maghreb

Le couscous fait l’union

par Akram Belkaïd, 21 décembre 2020
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cc Fayçal Rezkallah

Quelques grains d’euphorie en ces temps moroses. Le couscous fait désormais partie du patrimoine culturel immatériel de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Ce n’est que justice pour un plat qui remonte à l’Antiquité — il existait déjà à la table des royaumes numido-berbères qui tinrent la dragée haute à la Rome impériale — et qui demeure aujourd’hui le plat familial par excellence au Maghreb. Ce sont d’ailleurs quatre pays d’Afrique du nord, l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie qui ont porté en commun la candidature du dossier « Savoirs, savoir-faire et pratiques liés à la production et la consommation du couscous ». Cette démarche unitaire à laquelle aurait mérité de se joindre la Libye, est suffisamment rare pour être saluée (1).

Lire aussi Kateb Yacine, « Tous les chemins mènent au Maghreb », Le Monde diplomatique, mai 1961.

En mai 1961, le jeune écrivain Kateb Yacine, tout auréolé du succès de son roman Nedjma, publiait dans Le Monde diplomatique un article intitulé « Tous les chemins mènent au Maghreb » où il rappelait la communauté de destin des pays d’Afrique du nord. C’était trois ans après la Conférence de Tanger, aujourd’hui tombée dans l’oubli, où les trois grands partis indépendantistes (Istiqlal pour le Maroc, Front de libération nationale (FLN) pour l’Algérie et Néo-Destour pour la Tunisie) proclamèrent leur foi en un Maghreb uni sur le plan politique. Il s’agissait-là d’une espérance partagée par plusieurs générations de militants qui s’étaient dressés contre la présence française. Comment ne pas croire alors en cette union ? Un Maghreb uni faisait — et fait toujours —, sens : une homogénéité religieuse, l’islam sunnite étant largement majoritaire, deux langues partagées (l’amazigh dans ses différentes versions et l’arabe maghrébin), des habitudes culturelles communes et une histoire partagée marquée notamment par la solidarité qui se jouait des frontières.

Ainsi, quand la France décide, en 1953, d’exiler à Madagascar le sultan marocain Mohammed V, grand-père de l’actuel souverain Mohammed VI, c’est tout le Maghreb qui s’embrase. La même chose s’était produite en décembre 1952 après l’assassinat par les services secrets français de Ferhat Hachad, la grande figure du syndicalisme tunisien. À peine connue l’information de sa mort, le Maroc s’enflamme ; c’est à Casablanca qu’eurent lien les émeutes les plus violentes (40 morts parmi les manifestants). Enfin, le FLN algérien puis le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) trouvèrent soutien, appui et refuge au Maroc comme en Tunisie durant la guerre d’indépendance (1954-1962).

Les indépendances ont balayé le projet maghrébin qui s'est transformé peu à peu en incantation stérile

Mais les indépendances ont balayé le projet maghrébin qui s’est transformé peu à peu en incantation stérile. En 1963, un conflit frontalier oppose le Maroc et l’Algérie. Douze ans plus tard, la prise de contrôle de l’ex-Sahara espagnol par le Royaume chérifien provoque deux affrontements meurtriers entre les deux pays et installe entre eux une paix froide qui, aujourd’hui encore, fait du Maghreb une zone très peu intégrée. Créée en 1989, l’Union du Maghreb arabe (UMA) demeure une coquille vide. Sur le papier, cet ensemble élargi à la Libye et à la Mauritanie, se voulait ambitieux : libre-circulation des personnes et des marchandises, normes communes, monnaie unique, échanges intenses en matière d’éducation et de formation, etc. De cela, rien ou presque n’a été réalisé. La frontière terrestre algéro-marocaine est fermée depuis 1994, il n’existe aucun équivalent de programme Erasmus pour les étudiants des trois pays et la liste des divisions — politiques, culturelles ou sportives —, semble interminable. Pour un exportateur de la région, il est plus facile de faire des affaires avec la France qu’avec le pays voisin. Et les chercheurs qui travaillent sur la région constatent régulièrement le coût de ce « non-Maghreb ».

C’est dire à quel point cette démarche commune auprès de l’Unesco relève de la surprise agréable. Un autre exemple, peu connu, concerne l’interconnexion des réseaux électriques maghrébins qui a été achevée il y a quelques années ce qui démontre que des progrès peuvent être accomplis pour peu que le chauvinisme et les calculs politiques mesquins ne s’en mêlent pas.

Lire aussi Akram Belkaïd, « La “guerre du houmous” », « Ce que manger veut dire », Manière de voir n˚142, août - septembre 2015.

Certes, cela n’empêchera pas chaque pays de continuer à revendiquer la paternité du couscous. Rappelons qu’en 2016, l’Algérie avait tenté de déposer seule un dossier auprès de l’Unesco avant de faire machine arrière après les protestations tunisienne et marocaine. Mais ces querelles picrocholines existent aussi à l’intérieur de chaque pays, l’adage affirmant qu’il y a autant de couscous que de familles. Plat du vendredi ou du dimanche, selon le jour de repos hebdomadaire des uns et des autres, le « t’âm » (ou « nourriture », le terme couscous est très rarement employé dans les dialectes arabes maghrébins sauf en Tunisie avec « kouskssi ») ou « seksou », ou encore « kseksou », se décline en plusieurs centaines de recettes, qu’il soit à base de blé dur, d’orge ou même de maïs, avec ou sans épices, avec ou sans viande d’agneau, poisson ou poulet, chacune de ses recettes est propre à une région, une ville ou même un village. L’auteur de ces lignes privilégie ainsi une recette basique, issue de la tradition familiale : un couscous simple, au beurre ou, c’est encore mieux, à l’huile d’olive, mélangé à des petits pois de saison cuits à la vapeur. Autre recette, proustienne celle-ci : du lait chaud, un peu de miel et de la semoule çabha, c’est-à-dire qui reste du couscous de la veille.

Une hérésie sans nom

Mais, au-delà des divisions à propos de cet emblème par excellence de la convivialité et du partage — le couscous est mangé dans les joyeuses comme les tristes occasions —, deux choses uniront tous les Maghrébins : d’abord, leur méfiance atavique à l’égard de la semoule dite « express » censée permettre d’obtenir un couscous en moins de cinq minutes (semoule arrosée d’eau bouillante). Ensuite, et c’est le pire des crimes gastronomiques, la combinaison couscous-merguez si chère aux restaurateurs, patrons de relais-routiers et autres gargotiers et bistrotiers de France et de Navarre. Il s’agit-là d’une hérésie sans nom, d’une grave atteinte au bon goût culinaire, d’une dérive inacceptable en matière de (mauvaise) appropriation culturelle. Cela vaut pour toute viande grillée ou braisée, comme le méchoui, qui viendrait à accompagner ce plat. Imagine-t-on un cassoulet au haddock ? Une choucroute à la viande de chèvre ? Espérons que l’Unesco œuvrera fermement pour bannir cette pratique regrettable…

Akram Belkaïd

(1ONU info, 17 décembre 2020.

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