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Mali, Ukraine : quelle défense pour les prétendants à l’Élysée ?

Paris vient d’annoncer le départ de ses troupes du Mali et le maintien d’un contingent au Sahel. Dans l’ambiance très « guerre froide » du moment autour de l’Ukraine, la question des interventions militaires extérieures s’est imposée dans la campagne pour l’élection présidentielle. Les enjeux internationaux ont rarement eu autant de poids dans les débats.

par Philippe Leymarie, 17 février 2022
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Gustave Moreau. — « Les Prétendants », 1852-1882.
Lire aussi David Garcia, « Quand les médias se moquent du monde », Le Monde diplomatique, février 2022.

Paris et ses partenaires ont officialisé ce jeudi leur retrait militaire devenu inéluctable du Mali, tout en affirmant vouloir « rester engagés dans la région » sahélienne et « étendre leur soutien aux pays voisins du golfe de Guinée et d’Afrique de l’Ouest ». De 4 600 militaires français actuellement déployés dans la bande saharo-sahélienne (dont 2 400 au Mali), « seuls » 2 500 à 3 000 soldats français demeureront au Sahel après le retrait du Mali.

Ces derniers jours, tous les candidats à l’élection présidentielle française se sont demandé, chacun à sa manière : comment partir ? « Un retrait ordonné », préconise par exemple La France insoumise (LFI), qui fait valoir qu’il n’y a jamais eu d’attentats sur le sol français fomentés de là-bas.

Son champion, Jean-Luc Mélenchon, avait été ferme, devant l’Association des journalistes de défense (AJD), il y a deux semaines, évoquant « un désastre absolu » :

 « Commencé (en 2013) comme un geste de fraternité au peuple malien, nous finissons (en 2022) dans un imbroglio qui n’est pas digne. » ;
 « Nous nous faisons jeter dehors par un double putschiste ! » ;
 avec « des objectifs fumeux » comme la « guerre au terrorisme » ;
 « Une présence militaire coûteuse : 2 millions d’euros par jour » ;
 pour finalement être « incapable d’analyser les flux de recrutement des combattants (qui ne sont pas seulement des djihadistes) ».

Mais ce chant du départ est entonné par la plupart des candidats, qui ont anticipé les décisions gouvernementales. Pour l’écologiste Yannick Jadot :

 « on est dans une impasse » ;
 « on est venus à la demande de l’État malien ; s’il ne veut plus de nous, on part » ;
 « les soldats français, qu’il faut protéger, doivent rester dans leurs camps » ;
 « Il faut organiser leur redéploiement dans les pays frontaliers, d’où on peut continuer à combattre les terroristes » ;
 « La solution ne sera jamais seulement militaire : il faut une stratégie politique ».

Pour Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national (RN), « il n’y a pas d’autre possibilité que de partir ». On a « mal fait de vouloir y rester dans ces conditions », aux côtés d’une armée malienne impuissante, d’un État failli. Elle « fait confiance aux militaires » pour se désengager, même s’ils seront « très vulnérables » pendant ces manœuvres de repli.

Façon Afghanistan

Lire aussi Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Et pendant ce temps, la France s’enlise au Sahel », Le Monde diplomatique, septembre 2021.

Son concurrent d’extrême droite Eric Zemmour préconise un « repli sur nos bases » en Afrique, et « des raids s’il le faut » : « S’ils reviennent, on refait Serval ». Mais la lutte contre le terrorisme, contre une résurgence du califat, contre les migrations, c’est surtout « chez nous » qu’il faudra la mener, selon lui : en suspendant les visas pour les ressortissants des pays qui refusent de reprendre les immigrés expulsés ; et en supprimant les modalités qui favorisent l’immigration, comme l’aide médicale d’État, le regroupement familial, le droit du sol, etc.

Du côté de la candidate du Parti socialiste (PS) Anne Hidalgo, on insiste pour souligner que l’inquiétude ne date pas d’hier : on avait conscience d’une mobilisation de la jeunesse malienne, se sentant insultée ou méprisée, devenue soutien de la junte. La France a prêté le flanc aux critiques, avec sa politique de « deux poids, deux mesures », s’en prenant à la junte malienne, mais moins à celles de Guinée ou du Burkina Faso, et en fermant les yeux sur le coup d’État dynastique au Tchad.

Si on note un consensus entre les politiques de divers bords pour se retirer du Mali, il ne faut pas, dit-on encore auprès de la candidate socialiste, d’un retrait brut façon Afghanistan, qui amplifierait le chaos, et créerait un appel d’air. On insiste aussi sur le « décalage entre militaires et politiques français ». Et le fait que, sur le continent africain, la diplomatie, la coopération, l’influence culturelle françaises ne cessant de se réduire, les Chinois et Russes occupent les vides.

Agitation nuisible

Sur le conflit ukrainien, le consensus est moins évident. Il y a d’un côté ceux que leurs adversaires qualifient de « poutiniens » : les partisans d’une main tendue à l’exécutif russe, favorables à l’idée de donner des garanties que l’Ukraine n’accédera jamais à l’OTAN, et sera donc « finlandisée » de fait. En revanche, les écolos, les centristes, les socialistes, et la droite sont plutôt partisans de la fermeté à l’égard du Kremlin (même si le président va à Moscou plaider la « désescalade »).

Mélenchon appelle ainsi la France à être « non-alignée », seul moyen de jouer un rôle sur la scène internationale : « Ni les Russes ne doivent entrer en Ukraine, ni les Américains ne doivent annexer l’Ukraine dans l’OTAN », affirme-t-il. Depuis plusieurs années, le chef de la FI appelle à une sortie de l’OTAN, rappelant que l’élargissement de l’organisation transatlantique aux pays de l’Est dans les années 2000 avait déjà été ressentie par la Russie comme une menace, en rupture avec des engagements pris au lendemain de la dissolution du pacte de Varsovie.

Lire aussi Philippe Descamps, « “L’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est” », Le Monde diplomatique, septembre 2018.

Pour ce qui est de la tension actuelle, « l’intérêt de la France n’est pas de transformer la Russie en adversaire », et de se mettre à la remorque de la « politique guerrière américaine ». Les bisbilles des pays baltes, de la Roumanie ou de la Pologne avec Moscou « ne nous concernent pas » : on retire donc les soldats de partout, et on met fin à cette « agitation inutile et nuisible ».

Fabien Roussel, candidat du Parti communiste (PC), est en gros sur la même ligne. Des règles de vie commune avaient été adoptées dans les années 1990 (traité d’Helsinki, conférence de Paris, etc.) et n’ont pas été respectées, notamment par les Occidentaux. Comme on l’a fait à Bucarest en 2008, il faut redire « ouvertement » que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN « n’est pas d’actualité », même si en théorie tout pays a le droit de demander à y rentrer.

Voix ferme

À l’extrême droite, Marine Le Pen juge « déraisonnable » cet élargissement sans fin de l’OTAN. Elle préconise d’ailleurs la sortie de la France du commandement militaire intégré de l’organisation (où l’avait fait revenir le président Nicolas Sarkozy). Et considère que :
 « les enfants de France n’ont pas à aller mourir pour l’Ukraine » ;
 qu’à force de provocations américaines et européennes, « on est en train de créer les conditions d’un conflit qui n’a pas lieu d’être » ;
 que « la guerre froide menée aux Russes les a jetés dans les bras de la Chine » ;
 que les sanctions sont « une erreur majeure » ;
 que le président Macron, englué dans l’Europe maastrichienne et l’OTAN, n’est pas un arbitre ou médiateur crédible ;
 que son action diplomatique se limite à des « coups de com » successifs : Liban, Libye, Sahel, G7, Ukraine, etc.

Même approche pour Eric Zemmour, le candidat dit de la « reconquête » :
 légitimité contestable de l’OTAN (qui aurait dû se dissoudre après la disparition de l’URSS) ;
 sortie au minimum de son commandement militaire intégré ;
 pour ce qui est de l’Ukraine, pas d’entrée dans l’OTAN ;
 d’ailleurs, « personne ne se battra pour le Dombass » ;
 on supprimera les sanctions contre Moscou ;
 de toute façon, « l’Europe de la défense n’existe pas ».

Comme sa concurrente Marine Le Pen, Zemmour juge que l’important est de « redonner à la France sa souveraineté », et préconise de hausser d’un tiers le budget militaire de la France, pour en finir avec l’armée « échantillonesque » actuelle.

Pour Hidalgo et le PS, « l’Ukraine doit pouvoir déterminer son avenir ». La négociation Biden-Poutine sans les Européens a été un « camouflet » de la part de Washington comme de Moscou. Il faut certes parler à la Russie, « un grand pays, notre voisin », mais le faire « d’une voix ferme ». Le conflit autour de l’Ukraine a pour effet de ressusciter l’OTAN (que Macron avait jugée « en état de mort cérébrale » à la fin de l’année 2020). La Russie développe une politique d’influence tous azimuts. Il est hors de question pour la France de sortir de l’OTAN (qui est une double garantie de sécurité, avec la dissuasion nucléaire), mais il faut développer le « pilier européen » au sein de l’Alliance. Et au sein de l’Union. Soit exactement la position de Macron.

État-sandwich

Chez Les Républicains (LR), Valérie Pécresse comprend que la Russie, « qui a retrouvé ses frontières du XVIIe siècle, soit inquiète ». Mais c’est aussi un « pas touche à l’Ukraine », sinon on passe à de « fortes sanctions » contre Moscou. La candidate regrette que Paris ait attendu une crise majeure pour relancer un dialogue avec la Russie, affirmant que le président Macron s’est fait « rouler dans la farine » par Poutine. Et que cette absence de dialogue a contribué à « jeter la Russie dans les bras de la Chine ». Elle ajoute : « Je ne veux pas faire entrer la Russie dans l’Union européenne, mais je pense que nous devrions réfléchir à une nouvelle conférence sur la sécurité de l’Europe avec les pays européens, avec la Russie ».

Lire aussi Annette Lensing, « Diplomatie “des valeurs” à la sauce verte », Le Monde diplomatique, décembre 2021.

« On est derrière l’Ukraine, face à la Russie », clame quant à lui le candidat écologiste Yannick Jadot, sans doute le plus atlantiste de tous, qui préconise des sanctions très dures contre Moscou, l’arrêt du gazoduc germano-russe Nord Stream 2, et des garanties de sécurité accordées à Kiev. Pour lui, qui rêve de fédéralisme européen, il faut « arrêter de vouloir régler ce genre de question de nation à nation » : « On ne peut pas accepter ce que disent la plupart des pro-russes : que l’Ukraine est un État sandwich. C’est munichois de dire cela », répète-t-il. L’écologiste brocarde les Zemmour, Le Pen, Mélenchon, Roussel qui semblent « d’accord pour croire que les 100 000 soldats russes massés à la frontière du Dombass sont en classe verte ». Preuve supplémentaire à ses yeux, s’il en fallait une, que « les extrêmes se rejoignent ».

Philippe Leymarie

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